Le contrôle aversif en thérapie

 

“Always be positive is the worst advice you could ever give or receive.”

 

                                                                        --Daniels (2001, p. 44)

 

“A problem arises…when the behavior generated by positive reinforcement has deferred aversive consequences. The problem to be solved by those concerned with freedom is to create immediate aversive consequences”

-- Skinner (1971, p. 33)

 

Skinner est l'un des plus grands défenseurs du renforcement positif chez les comportementalistes, et pourtant il souligne l’intérêt de l’usage du contrôle aversif dans certaines situations. Skinner lui-même mettait en place pour lui-même des contingences aversives afin d’améliorer son fonctionnement.

Richard Malott (2005), décrit les conditions qui rendent le contrôle aversif nécessaire dans la gestion du comportement. Selon lui, les contingences naturelles comportent une série de limites pour modifier ou maintenir efficacement des comportements fonctionnels.

La non-significativité non cumulative des conséquences

La première variable qui va empêcher le comportement de se modifier ou de se maintenir est la faible capacité des contingences directes à renforcer celui-ci, même si celles-ci sont significatives si on les cumule dans le temps. 

Prenons l’exemple d’entretenir une voiture. Bien qu’à long terme le fait d’entretenir régulièrement son véhicule maintient les performances de celui-ci, favorise la sécurité et augmente sa longévité, les conséquences immédiates directes de ne pas entretenir régulièrement son véhicule ne sont pas suffisamment fortes pour initier ou maintenir les comportements relatifs à l’entretien de celui-ci. Cela explique que de nombreuses personnes sont souvent en retard au contrôle technique et vérifie rarement les niveaux d’huile et de liquide de frein ou encore que l’on arrive souvent à court de produits lave-glace. 

Bien entendu, si les conséquences naturelles d’un comportement sont significatives, même si elles sont retardées, elles vont influencer le comportement, tout comme les règles verbales les décrivant. Par exemple, vous allez ramener systématiquement votre smartphone de la terrasse le soir si un orage est annoncé dans quelques heures, et cela même s’il y a encore du soleil. Vous allez vérifier si la toilette est fournie en suffisance en papier toilette avant de l’utiliser.

La trop faible probabilité des renforcements

Une autre variable à prendre en compte est la probabilité d’obtenir le renforcement lorsque l’on produit le comportement. Une trop faible probabilité d’un renforcement, même significatif comme gagner un million d’euros, diminue considérablement les chances de voir un comportement apparaitre ou maintenu. On observe cela souvent dans le contexte de la sécurité. Je me souviens encore de mes parents ne mettant pas leur ceinture de sécurité en voiture, car aucune loi ni son désagréable n’étaient là pour contrôler le comportement alors que les conséquences, certes faibles, sont très significatives. Or, lorsque la probabilité des contingences est élevée, comme une chute en moto, la probabilité de mettre un casque est élevée également.

L’absence de règle verbale explicitant la survenue des conséquences

On ne se rend pas suffisamment compte de l’importance du délai de renforcement, et cela tant chez les professionnels que dans le grand public. Le délai de renforcement est fondamental. Une contingence de contrôle comportemental n’aura d’effet significatif que si elle est rencontrée dans un certain laps de temps. Passé 60 secondes, les renforcements et les punitions n’ont que peu d’impact. Cependant, chez les êtres humains doués du langage, les règles verbales permettent de pallier à cela. Si les conséquences d’un comportement sont suffisamment importantes et fréquentes, même si elles sont éloignées dans le temps, la connaissance de la règle décrivant la survenue des conséquences peut favoriser l’initiation ou la poursuite de comportement dans certains contextes.

Ce qui est intéressant dans la réflexion de Malott est la question des deadlines explicites et implicites et l’utilisation des renforcements positifs. Sans deadline (qu’elle soit explicite ou implicite), le comportement a de faible chance de se modifier. En établissant une deadline, on ne fait que mettre en place un contrôle aversif où la personne va éviter de ne pas obtenir le renforcement positif.

Un autre point intéressant dans son raisonnement est la différenciation entre renforçateur hédonique (eau, nourriture, sexe, relation sociale…) et instrumental (argent, grade, fonction). L’un étant plus puissant que l’autre. Tous les renforçateurs instrumentaux sont appris, ce qui n’est pas le cas pour les renforçateurs hédoniques. Les renforçateurs hédoniques sont plus efficaces que les instrumentaux. Selon lui, les renforçateurs hédoniques ne sont pas toujours assez puissants pour sortir une personne de l’inertie, mais assez pour maintenir sont comportements sur la durée lorsque celui-ci est activé. Les renforçateurs instrumentaux ne sont fonctionnels que dans un contexte avec une deadline.

Selon Malott, la plupart du temps nous fonctionnons dans des contextes où les renforcements ne sont pas immédiats, et plus souvent instrumentaux qu’hédoniques. Dans ces conditions, l’établissement d’un processus incluant des deadlines est important pour éviter l’inertie comportementale. Les deadlines impliquent l’évitement de la non obtention d’un renforcement, ce qui implique un contrôle aversif. 

« L’effet Lucifer » de Zimbardo (2007) illustre bien la nécessité pour une communauté humaine d’être soumise à un ensemble de règles punitives pour permettre au plus grand nombre d’adopter des comportements fonctionnels. Bien que fortement critiquée, l’expérience de la prison de Zimbardo met en lumière l’importance du contexte dans le contrôle du comportement humain. Les interviews des participants réalisées 40 ans après (publiés dans une revue de Stanford) permettent de relativiser la notion de contexte en laissant supposer que l’environnement n’est pas tout puissant et que d’autres variables, probablement issues de l’histoire d’apprentissage de chaque sujet, sont à prendre en compte.

Cependant, parler de contrôle aversif n’est pas synonyme de contingences punitives.

Le contrôle aversif en thérapie

Certains patients sont parfois bloqués dans des émotions fortes, dynamiques, comme ce que l’on regroupe souvent sous le nom de « colère ». Une particularité de ces clients bloqués est une forte impulsivité et un rejet assez catégorique de la pratique « bobo » de la méditation et autres exercices d’exploration et pour qui la compassion du thérapeute est, dans les premiers temps, très aversive. Des clients particulièrement non compliants qui m’ont permis de faire preuve de créativité dans mes procédures d’intervention.

Comment utiliser l’émotion utilement et en cohérence avec l’ACT ?

L’activation émotionnelle forte est un outil efficace pour faciliter l’accès aux valeurs et l’engagement comportemental. Trop forte, elle est contre-productive. Mais bien ajustée, elle se révèle être une ressource importante pour multiplier les contextes d’apprentissage et façonner un comportement plus fonctionnel.

Comment peut-on faire ?

  1. Repérer une émotion dynamique aversive ou l’activer.
  2. Ralentir, explorer les valeurs sous-jacentes (ex, respect …). Explorer le lien entre ces valeurs et d’autres valeurs importantes pour la personne (ex, famille, amis …) et les antagonismes et complémentarités des comportements induits par l’émotion (selon la terminologie de Barlow) et les autres dimensions de la vie de la personne.
  3. Élargir le répertoire comportemental en explorant les patterns d’actions favorisant la complémentarité des valeurs.
  4. Pratiquer les patterns d’actions en séance dans un contexte de contrôle aversif.

Le but ici est d’apprendre à la personne à continuer de produire des comportements engagés alors qu’elle est sous contrôle aversif. Joe Ciarrochi appelle cette compétence « Effective Action Orientation ».

Il est aussi possible d’utiliser la « force propulsive » de certaines émotions au service d’un engagement fonctionnel pour un maximum de dimensions de vie.

L’effet activant de certaines émotions peut aussi être utilisé avec des clients particulièrement inhibés comme dans les cas de dépression ou d’anxiété par exemple. Les auteurs du champ de recherche de l’intelligence émotionnelle font souvent référence à la facilitation comportementale des émotions (par exemple, la quatrième dimension du modèle de Mayer et Salovey). Ciarrochi et al. (2005) proposent cette piste dans les conclusions de leur article présentant l’approche contextualiste fonctionnelle de l’intelligence émotionnelle.

Greenberg quant à lui va plus loin en proposant l’inhibition d’une émotion par son émotion antagoniste. Cette technique est particulièrement utile pour introduire plus de flexibilité émotionnelle afin de partir à l’exploration des valeurs lorsque l’émotion dominante est une émotion apprise et décontextualisée. Face à la tristesse (inhibition), on peut utiliser l’humour pour induire le rire (activation).

En thérapie comportementale dialectique par exemple, l’utilisation du contrôle aversif est très présente aussi dans le contrat thérapeutique.

Toujours dans le domaine des émotions, une autre façon de travailler avec le contrôle aversif est de le mettre en scène. Par exemple, les clients qui sont « empêchés » de ressentir certains sentiments, comme la colère ou la tristesse, sont souvent sous contrôle aversif. Le contrôle émotionnel est un comportement sous contrôle aversif du contexte émotionnel ainsi évité. En donnant un corps au « contrôle », par exemple en demandant à la personne de mimer comment elle ferait pour s’empêcher de ressentir ou d’exprimer cela, l’accès aux émotions évitées est facilité lorsqu’on demande ensuite de reprendre sa place. Parfois, c’est l’accès à la compassion pour soi qui est ainsi facilité. Cela dépend du contexte. Je ne sais toujours pas ce qui se passe exactement quand je propose ça. Une piste serait la saturation du besoin de contrôle, qui, ainsi saturé, a une plus faible probabilité de se produire. Mais ce n’est qu’une pure interprétation.

En conclusion, nous pourrions dire qu’il n’est pas fonctionnel pour un thérapeute d’être sous le contrôle aversif du « contrôle aversif ». Celui-ci est utile dans un nombre considérable de cas et vouloir le bannir pourrait être contre-productif ou encore favoriser l’inertie comportementale. Combiné à un contrôle apétitif, le contrôle aversif est un outil très utile. C’est cette combinaison qui se retrouve dans de nombreuses interventions paradoxales des thérapies brèves. S’intéresser au contrôle aversif permet, paradoxalement, de le dépasser.

Egide Altenloh
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