Si vous consultez ce que l’on appelle souvent la « bible de la psychiatrie », le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, vous constaterez que la liste des principaux symptômes de la dépression majeure n’inclut pas la colère.
Cependant l’irritabilité – un contrôle réduit du tempérament qui se traduit par des accès de colère – figure parmi les principaux symptômes de la dépression chez les enfants et les adolescents. Pour quelle raison ce symptôme n’est-il pas mentionné pour les adultes. Pourquoi une personne irritable et en colère lorsqu’elle est déprimée à l’adolescence cesserait-elle soudainement d’être en colère à l’âge de 18 ans ? Cela n’a aucun sens.
La colère est un sentiment émotionnel et physique qui pousse les gens à vouloir avertir, intimider ou attaquer une personne perçue comme menaçante. Je vois régulièrement des étiquettes psychiatriques données aux adultes déprimés et très colériques comme « un trouble bipolaire » ou « trouble de la personnalité ».
Cela renvoie à la croyance dans le secteur médical que l’on ne peut pas être aussi colérique si on est déprimé. D’où un diagnostic assez violent. Cela n’est pas sans conséquence car le diagnostic est important pour déterminer le type de traitement que les patients reçoivent.
On nous apprend souvent à l’école de psy que dans la dépression la colère est dirigée vers la personne elle-même… mais d’où donc ce raccourci aléatoire nous provient-il ? D’un doux dingue au cigare photogénique ? Ce n’est pas ce que la recherche nous enseigne. Cependant, il existe un temps parfois conséquent entre ce que la recherche met en évidence et ce qui est enseigné dans les écoles de psy (au sens large). Au grand drame des patients bien souvent.
La psychiatrie a soigneusement étudié la façon dont les patients ressentent de l’anxiété et l’humeur dépressive, mais la colère a été relativement négligée.
Les échelles les plus fréquemment utilisées pour évaluer l’efficacité des médicaments dans le traitement de la dépression ne comportent pas d’éléments spécifiques à la colère. Est-ce un signe également de cette négligence des manifestations de la colère dans la dépression ?
Pourtant, dans le contexte de la dépression, si on prend la peine de l’évaluer, l’irritabilité n’est pas beaucoup moins fréquente que la tristesse et l’anxiété chez les patients.
Zimmerman et quelques collègues ont récemment mené une enquête auprès de milliers de patients qui se rendaient pour la première fois au service de psychiatrie ambulatoire de l’hôpital de Rhode Island. Tous ont été interrogés sur le niveau de colère qu’ils avaient ressenti ou exprimé au cours de la semaine précédente.
« Deux tiers des personnes ont fait état d’une irritabilité et d’une colère notables, et environ la moitié d’entre elles l’ont exprimée à un niveau modéré ou grave.”
Une autre étude de grande envergure, réalisée par un autre groupe de recherche, a porté sur plus de 500 personnes chez qui on avait diagnostiqué une dépression majeure. Elle a révélé que plus de la moitié d’entre elles présentaient une « irritabilité/colère manifeste » et que cette colère et cette irritabilité semblaient être associées à une dépression chronique plus grave.
Un autre psychiatre, le professeur Dougherty, s’intéresse à la colère présentée chez des patients souffrant de dépression. Il a mené une série d’études visant à comprendre pourquoi les crises de colère surviennent chez les patients souffrant d’un trouble dépressif majeur. Certains de ces patients ont des accès de colère qui ne sont pas adaptés à la situation et qui ne correspondent pas à leur personnalité. « Les gens crient ou lancent des objets », explique le Dr Dougherty. « Nous voulions étudier les mécanismes qui sous-tendent ces réactions.”
Chez ces patients, les accès de colère cessent généralement lorsque la dépression prend fin. La compréhension de ce lien pourrait fournir des informations précieuses sur ces troubles et leur traitement.
En 1999, Dougherty a commencé par étudier des personnes en bonne santé ne présentant aucun signe de dépression et n’ayant jamais eu d’épisodes de colère. Il a utilisé la tomographie par émission de positrons pour examiner les régions du cerveau qui s’activent pendant les moments de colère. Les sujets simulaient des moments de colère en se remémorant les moments de leur vie où ils avaient ressenti une colère intense. « On peut essayer de susciter la colère en montrant des images bouleversantes, par exemple », explique Dougherty. « Mais la réaction n’est pas aussi forte. Le meilleur moyen d’induire l’émotion est d’utiliser des scénarios autobiographiques. »
Lors des souvenirs de colère, l’amygdale s’est activée. Dans le même temps, une partie du cortex orbitofrontal, situé juste au-dessus des yeux, s’est également activée, freinant ainsi l’émotion. « Les personnes en bonne santé ressentent de la colère, explique Dougherty, mais elles peuvent la réprimer avant de passer à l’acte.” Chez les personnes déprimées, sujettes à des crises de colère, ce frein neurologique ne s’enclenche pas.
Mes trois conseils du jour seront donc les suivants :
- Ne négligez pas les manifestations de la colère chez les patients déprimés, en particulier chez les adultes. La colère et l’irritabilité sont souvent des symptômes de la dépression qui sont mal diagnostiqués ou négligés. Il est important de prendre en compte tous les symptômes afin d’établir un diagnostic précis et d’adapter le traitement en conséquence.
- Utilisez des échelles d’évaluation qui incluent des éléments spécifiques sur la colère. Si vos outils d’évaluation n’incluent pas des éléments liés à l’irritabilité ou à la colère, faites au moins un examen clinique à ce propos.
- Comprendre les mécanismes qui sous-tendent les accès de colère chez les patients déprimés peut aider à mieux les traiter. Les accès de colère sont souvent considérés comme des symptômes d’un trouble bipolaire ou d’un trouble de la personnalité, mais chez les patients déprimés, ils peuvent être liés à la dépression elle-même.
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