L’art de l’humilité : L’équilibre entre estime de soi et prosocialité

La nuit fut longue. Mes petites princesses (oui, j’ai des jumelles maintenant) nouvellement arrivées ont pourtant été relativement calmes. J’ai profité de cette nuit tranquille pour me pencher, sans y tomber, dans le chaudron de l’humilité. Cela fait longtemps maintenant que j’ai ce sujet dans mes cartons et une petite phrase d’un participant à un de mes groupes de gestion de la colère me trottait en tête : « on ne peut connaître vraiment ses limites que le jour où on a des enfants ». Je le savais déjà, mais mon vécu récent me l’a rappelé avec force. Est-ce donc le bon moment pour ouvrir le carton de l’humilité ? Allez savoir. Quoi qu’il en soit, voilà qui est fait.

Dans notre culture de la réussite et du renforcement de l’égo, nous associons souvent le succès à la confiance en soi, à l’affirmation de soi et au sens de l’importance personnelle. Et si je vous disais que l’humilité peut être tout aussi importante, si ce n’est plus, dans la réussite personnelle et professionnelle ? Dans cet article, je vais explorer l’art de l’humilité, ses avantages et la manière de la cultiver pour améliorer votre vie et celle de ceux qui vous entourent.

Comprendre l’humilité

Bien que le concept d’humilité soit l’objet d’un intérêt croissant dans les couloirs des universités, une définition commune ne semble pas encore émerger. L’humilité est un concept particulièrement riche. Elle est à la fois un trait de personnalité, une émotion, un état hypoégotique (diminuant la centration sur soi), une vertu, une forme d’intelligence spirituelle, ou encore une évaluation juste de ses forces et faiblesses. Cette richesse en fait un concept multifacette dont chaque définition n’exclue pas les autres, mais les complète.  L’humilité renverrait à deux dimensions, l’une vertueuse, lumineuse et prosociale et une autre, plus sombre. La part prosociale de l’humilité est la valorisation d’autrui à travers la reconnaissance de ses forces et qualités. La part sombre est son versant autodévalorisant.

Plusieurs études ont pu montrer que les personnes humbles, bien que prosociales et affiliatives, présentent également tout un ensemble de comportements moralement valorisés, mais culturellement vus aujourd’hui comme des défauts comme la discrétion et la modestie.

Cependant, ces “défauts” sont perçus par les personnes humbles comme des qualités valorisées.

C’est l’une des dimensions fascinantes de l’humilité : elle va à contre-courant de notre culture hyperégotique et transforme en qualité ce que notre culture considère comme des défauts.

Il serait en fait plus correct de concevoir l’humilité comme un continuum, allant d’un manque complet d’humilité, se manifestant par un égotisme proéminent, passant par une humilité modérée, donnant moins d’importance à notre égo et considérant la valeur d’autrui à sa juste place, à une humilité pathologique auto-dénigrante et exagérant la valeur et les compétences d’autrui. C’est ce que proposent d’ailleurs Weidman, Cheng et Tracy (2016) dans leur article sur la structure psychologique de l’humilité : d’une part, l’humilité affiliative permettrait tant de reconnaître la valeur d’autrui sans se dévaloriser soi-même, d’autre part, l’humilité dévalorisante se centrerait sur l’autodépressiation et la considération qu’autrui  nous est supérieur.

La différence entre humilité et modestie

Deux soeurs jumelles pour les uns, des concepts différents pour d’autres, la question de la différence entre l’humilité et la modestie n’est pas encore totalement tranchée dans les labos de psychologie. La modestie aurait deux visages, l’un interpersonnel et l’autre intrapersonnel. La modestie interpersonnelle, c’est-à-dire celle que nous manifestons en société, aurait pour fonction de gérer l’envie et la jalousie d’autrui en n’attirant pas l’attention, en exprimant de la gratitude ou encore en manifestant de l’embarras lorsqu’on nous fait des louanges. La modestie intrapersonnelle se centre sur les croyances que nous cultivons à propos de nous-mêmes : nous avons une vue juste et modérée de nos forces et faiblesses.

Les deux types de modestie ne vont pas forcément l’une avec l’autre. Une personne narcissique peut tout à fait manifester de la modestie interpersonnelle afin de ne pas devoir gérer la jalousie des autres. On pourrait considérer cela comme une modestie instrumentale : elle sert un objet interpersonnel. Elle est plus la manifestation d’une stratégie de régulation sociale qu’une qualité intrinsèque.

Par ailleurs, avoir une vue juste de soi-même, une appréciation correcte de ses forces n’implique pas de se comporter avec modestie. Muhammad Ali était probablement le meilleur boxeur sur terre lorsqu’il disait de lui qu’il était « le meilleur ». Mais est-ce faire preuve de modestie de l’acclamer ainsi ?

En comparaison, l’humilité nécessite une présence simultanée de facteurs motivationnels (être orienté vers autrui), cognitifs (modestie intrapersonnelle) et comportementaux (modestie interpersonnelle) pour pouvoir être considérée comme telle. Selon Tangley (2009), pour être considérée comme humble, une personne devrait présenter simultanément cinq caractéristiques :

  1. avoir une perception juste de soi
  2. savoir reconnaître ses limites et ses erreurs
  3. être ouvert à d’autres idées et garder une perspective ouverte sur ses propres réalisations
  4. être peu centré sur soi-même
  5. apprécier et valoriser toutes choses, en particulier les autres

Une autre différence entre l’humilité et la modestie est la façon de les mesurer. La modestie est mesurée par des auto-évaluations dans de nombreux questionnaires de personnalité, en prenant les comportements d’autopromotion de soi comme étant inversement proportionnels à la modestie. L’humilité quant à elle ne peut pas être mesurée de la sorte. En effet, affirmer être humble n’est autre qu’une façon de se mettre en avant et de se valoriser, ce qui n’a pas grand-chose à voir avec l’humilité. L’humilité ne peut être rapportée que par des moyens détournés ou par une évaluation extérieure, dans un contexte social et rapporter par les personnes avec lesquelles la personne humble est en interaction.

Le rôle de l’estime de soi dans l’humilité

L’estime de soi et l’humilité peuvent sembler des concepts opposés. Cette opposition n’est qu’apparente. L’estime de soi fait référence à notre sentiment général de valeur personnelle et de confiance en nos capacités. Lorsque nous avons une bonne estime de nous-mêmes, nous pouvons reconnaître nos forces ainsi que nos faiblesses sans ressentir le besoin de nous valoriser constamment aux yeux d’autrui. Cela nous permet d’être plus humbles et ouverts à l’apprentissage et à la remise en question.

En revanche, lorsque notre estime de soi est fragile, nous pouvons ressentir le besoin de prouver constamment notre valeur aux autres. Cela peut conduire à l’arrogance, à une posture défensive et à un manque de volonté d’apprendre des autres. L’humilité et l’estime de soi ne s’excluent donc pas mutuellement. Au contraire, elles peuvent travailler ensemble pour créer un sens sain de la conscience de soi.

Les avantages de l’humilité

L’humilité présente de nombreux avantages pour les individus et la société dans son ensemble. Des études ont montré que les personnes humbles sont plus susceptibles d’avoir des relations interpersonnelles positives, d’être plus empathiques et compatissantes envers les autres, et d’avoir des niveaux plus élevés de bien-être et de satisfaction dans la vie. L’humilité peut également conduire à une plus grande réussite sur le lieu de travail, car les personnes humbles sont plus ouvertes à l’apprentissage et à la collaboration, et sont moins susceptibles de s’engager dans des comportements compétitifs en quête de valorisation personnelle.

En outre, l’humilité peut nous aider à modérer l’attachement aux possessions matérielles ou aux signes de statut social. Cela peut conduire à une vie plus épanouissante et plus significative, car nous nous concentrons sur ce qui compte vraiment, comme nos relations et nos valeurs. C’est indirectement ce que met en évidence les recherches de Tatjana Schnell quand elle aborde la question de la générativité, définie dans le sens de la générativité communautaire de Bakan (1966). Contrairement à la générativité agentique, la générativité communautaire implique qu’une personne ait tendance à s’oublier soi-même et agisse pour le bien des autres et des générations futures. La générativité (communautaire) est considérée par Schnell comme une des sources de sens les plus puissantes dans la vie d’un être humain. On retrouve également ce désintéressement de soi-même au profit d’autrui dans de nombreuses cultures spirituelles à travers le monde.

Le lien entre dignité et humilité

La dignité, souvent associée au respect et à la valeur de soi, est étroitement liée à l’humilité. Lorsque nous avons un sens aigu de la dignité, nous pouvons reconnaître notre juste valeur et celles des autres, sans ressentir le besoin de rabaisser autrui ou de s’engager dans de l’autopromotion. Un manque de dignité, en revanche, peut entraîner des sentiments de honte, d’inutilité et un besoin constant de prouver aux autres que nous avons de la valeur, que nous sommes le meilleur ou d’autres narcissismes. Ce manque de dignité peut expliquer la part sombre de l’humilité.

L’humilité et la dignité vont main dans la main, l’un sans l’autre ne peut que dériver vers des extrêmes nuisibles, tant pour nous-mêmes que pour nos relations.

Cultiver l’humilité peut donc nous aider à développer un sentiment plus fort de dignité et de respect de soi. En reconnaissant nos limites et nos faiblesses, nous pouvons également reconnaître notre valeur inhérente en tant qu’être humain, indépendamment de nos réalisations ou de notre statut.

La relation entre l’humilité et la prosocialité

La prosocialité fait référence aux comportements qui profitent aux autres et à la société dans son ensemble, tels que la gentillesse, la générosité et l’altruisme. L’humilité est étroitement liée à la prosocialité, car les personnes humbles sont plus susceptibles de s’engager dans des comportements qui profitent aux autres, plutôt que de se concentrer uniquement sur leurs propres intérêts.

En outre, l’humilité peut nous aider à reconnaître la valeur des autres, même s’ils sont différents de nous. Cela peut conduire à une plus grande empathie et à une meilleure compréhension et, en fin de compte, à des relations plus harmonieuses et plus coopératives.

L’importance de trouver un équilibre

Si l’humilité présente de nombreux avantages, il est important de trouver un équilibre, car trop ou pas assez d’humilité peut avoir des conséquences négatives. Trop d’humilité peut conduire à l’autodépréciation, à un manque de confiance et à une incapacité à s’affirmer lorsque c’est nécessaire. À l’inverse, un manque d’humilité peut conduire à l’arrogance, à un manque d’empathie et à un mépris des sentiments et des besoins d’autrui.

Il est donc important de cultiver une humilité équilibrée. Cela implique de reconnaître nos forces et nos réalisations, tout en reconnaissant nos limites ainsi que les forces et les réalisations des autres. Etre humble c’est aussi s’ouvrir aux commentaires des autres, cultiver un esprit d’apprenant permanent, tout en s’affirmant lorsque cela est nécessaire.

Comment cultiver l’humilité

Bien que pour Gandhi « cultiver l’humilité est hypocrisie. L’humble n’a pas conscience de son humilité » nous pensons que dans le monde d’aujourd’hui, ce n’est pas inutile. Cultiver l’humilité est un sacerdoce de toute une vie. Cependant, cet article ne serait pas digne de Psyris si je ne vous donnais pas quelques petits trucs pratiques (zut, je viens de laisser tomber mon humilité dans la soupe…). L’un d’entre eux consiste à pratiquer la gratitude, en se concentrant sur les aspects positifs de notre vie et en reconnaissant les contributions des autres. Une autre stratégie consiste à chercher à vouloir s’améliorer en permanence en se permettant d’apprendre de toute personne croisant notre chemin, peu importe son âge, son statut, son intelligence ou … son règne d’appartenance (oui, nous pouvons aussi apprendre des choses fondamentales de la terre, d’un arbre, d’un poisson). Concevoir nos erreurs comme des opportunités d’apprentissage, assumer nos échecs et ne pas rejeter la faute sur autrui est aussi une option de choix.

En outre, il peut être utile de s’engager dans des pratiques d’augmentation de notre conscience de soi, comme la méditation ou la conscience corporelle afin de nous aider à devenir plus conscients de nous-mêmes et plus présents à ce qui nous entoure. Faire preuve d’acceptation de nos faiblesses est également un moyen de permettre à l’humilité de partager notre vie. Enfin, l’empathie et la compassion envers autrui sont des pratiques pertinentes pour nous aider à cultiver une posture humble face au monde, en reconnaissant la valeur inhérente de tout ce qui participe à la vie sur terre, humain ou non.

L’idée centrale de tout cela est en fait assez simple : agissez avec humilité et vous aurez plus de chance de développer celle-ci.

La mauvaise nouvelle est que vous ne saurez jamais si vous l’êtes réellement, car se percevoir comme une personne humble a plus à voir avec de l’autopromotion égotique qu’avec l’humilité véritable. Pourquoi le feriez-vous si vous n’avez aucun moyen de savoir si vous y êtes parvenu ? Tout simplement parce qu’une partie de vous valorise cette discrète qualité. Si ce n’est pas le cas, contentez-vous alors de la modestie interpersonnelle et continuez donc à vous lustrer le nombril (saviez-vous que j’aimais bien la thérapie provocative ?).

L’impact de l’humilité sur les relations

Vous vous en doutez, l’humilité a une influence positive sur nos relations, tant sur le plan personnel que professionnel. Les personnes humbles sont plus susceptibles d’avoir des relations positives et harmonieuses, car elles sont plus disposées à écouter les autres, à faire des compromis et à rechercher des solutions mutuellement bénéfiques. Pour travailler avec des personnes humbles, je vous avoue que c’est un réel plaisir. Les réunions sont toujours créatives, amusantes et stimulantes.

En outre, l’humilité peut nous aider à développer une plus grande empathie et compréhension envers autrui, ce qui est le terreau de relations plus épanouissantes et significatives. En reconnaissant la valeur des autres, nous pouvons établir des relations plus profondes et construire des liens de confiance et de respect plus solides.

Les inconvénients d’un excès ou d’un manque d’humilité

Comme nous l’avons déjà mentionné, trop ou pas assez d’humilité peut avoir des conséquences négatives. Trop d’humilité peut conduire à un manque de confiance et d’assurance, ce qui peut entraver notre développement personnel et professionnel. Il peut également entraîner un sentiment de dévalorisation et une faible estime de soi.

En revanche, un manque d’humilité peut mener à l’arrogance, au narcissisme, à un manque d’empathie et à un mépris des sentiments et des besoins d’autrui. Cela peut nuire à nos relations et conduire à un comportement contraire à l’éthique sur le lieu de travail.

Conclusion : Comment l’humilité peut-elle améliorer votre vie et celle de votre entourage ?

En conclusion, l’humilité est une qualité précieuse qui, si elle est bien équilibrée et jointe à une bonne dose de dignité personnelle, peut améliorer notre vie personnelle et professionnelle de nombreuses façons. En reconnaissant nos limites et la valeur des autres, nous pouvons développer davantage d’empathie, de compassion et de prosocialité, ce qui peut conduire à des relations plus épanouissantes et harmonieuses. En outre, cultiver l’humilité peut nous aider à contrôler notre ego et ses dérives, à nous concentrer sur ce qui compte vraiment et à mener une vie plus significative et plus épanouissante.

Je vous encourage donc chaudement à cultiver l’humilité dans votre vie quotidienne, en pratiquant la gratitude, en vous ouvrant à apprendre de chacune de vos rencontres, en vous engageant dans des pratiques de pleine conscience et en pratiquant l’empathie et la compassion envers les autres. Ce faisant, vous pouvez améliorer votre vie et celle de ceux qui vous entourent, et contribuer à une société plus harmonieuse et plus coopérative.

Pour conclure, je vous laisse ici ma citation préférée concernant l’humilité (Kaamelott) :

— …cela prouve que j’ai de l’ubiquité…

— de l’humilité.

— de l’humilité ? C’est pas quand il y a des infiltrations ?

Comment avez-vous cultivé l’humilité dans votre vie et quels bénéfices en avez-vous tirés ? Partagez vos réflexions et vos expériences dans les commentaires ci-dessous.

Photo de Sarah Dorweiler sur Unsplash

Egide Altenloh
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1 Commentaire
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Roura
Roura
1 année il y a

Excellent
merci pour cet éclairage qui élargit ma conception de l’humilité.
je la limitais à : être humble c’est être affranchi de l’importance de soi » M Ricard