Quelle couleur favorise la créativité ?

 

C’est une question que je me suis posée en travaillant sur le chapitre Sensorialité du livre que j’ai co-écrit avec Gilles Favro il y a quelque temps maintenant. Je me suis reposé cette question récemment, pour un autre projet, toujours avec Gilles, et comme je n’aime pas trop me reposer sur mes acquis, j’ai recommencé mes recherches. Cela m’a replongé dans le passé où j’ai dû faire le tri entre ce qui ressort des croyances populaires et de la science. Et, comme à l’époque, j’ai fini par me retrancher chez mon ami de toujours : Google Scholar.

J’ai découvert que le lien entre la créativité et certaines couleurs particulières a été étudié par des chercheurs de différents domaines : la psychologie, mais aussi l’ergonomie, l’interaction homme-machine et l’architecture. Merci Google !

Cependant, malgré le nombre considérable de références, peu d’entre elles offrent des résultats concrets et fiables. Les données sont rares et parfois contradictoires. Cependant, dans tout ce fouillis, il y a tout de même quelques pépites intéressantes. En voici un résumé 🙂

Rouge ou bleu ?

La première étude pertinente a comparé les effets du rouge et du bleu sur diverses tâches cognitives, y compris la créativité et la conception de produits (Metha et Zhu, 2009). On peut s’attendre à ce que les deux couleurs jouent un rôle sur la créativité : le rouge est fort et excitant, tandis que le bleu est une couleur plus apaisante et intellectuelle, en tout cas dans notre bagage culturel, c’est ainsi.

Les auteurs de cette étude ont mené 6 expériences et publié leur article dans Science, la revue académique la plus vendue et lue dans le monde. Pour la petite histoire, cette revue a été créée par Thomas Edison en 1880. Elle ne date donc pas d’hier.

Les résultats montrent clairement que le bleu est une meilleure couleur que le rouge pour favoriser la créativité : les personnes ont généré plus d’idées créatives dans une tâche de type brainstorming lorsqu’elles travaillaient sur un ordinateur avec un écran de fond bleu que les personnes qui travaillaient sur un écran de fond rouge.

De plus, lorsque les gens ont reçu un ensemble de pièces géométriques bleues ou rouges pour concevoir un nouveau jouet pour enfants, ils ont produit des jouets plus pratiques et appropriés lorsqu’ils travaillaient avec les parties rouges, et des dessins plus originaux et nouveaux lorsqu’ils travaillaient avec les pièces bleues.

Avant de vous précipiter pour repeindre votre bureau en bleu de haut en bas, notez que bien que les résultats suggèrent que le bleu favorise légèrement la créativité, il se pourrait aussi que ce soit surtout le rouge qui soit mauvais pour la créativité. En effet, cette dernière hypothèse est ce qu’avancent d’autres études : le rouge altère les performances sur de nombreux types de tâches cognitives, et cela semble se produire en dehors de la conscience des participants (Elliot et al., 2007).

L’explication de cet effet est simple : le rouge augmente légèrement la motivation à l’évitement. Cela est dû à la fois à la nature et à l’éducation : nous avons une tendance biologique à considérer le rouge comme un signal de danger, dans la nature, le rouge est souvent un signal de compétition ou de préparation à l’attaque, et dès l’enfance, nous sommes également exposés à des associations entre la couleur rouge et les signaux négatifs (par exemple, le stylo de « Monsieur le Maitre », de mon temps). Un signal négatif suscite automatiquement une tendance motivationnelle à l’éviter, ce qui produit de l’anxiété et de la distraction (Bargh et Chartrand, 1999). Bien que la distraction soit intéressante pour la créativité, l’anxiété concomitante aux signaux négatifs coupe toute tentative de créativité.

Nous ne pouvons donc pas dire avec certitude que le bleu stimule la créativité, bien qu’il soit préférable d’éviter le rouge. Quoi qu’il en soit, l’effet n’est pas si grand que ça. Le d de Cohen, un outil statistique permettant de « mesurer » la taille d’une différence significative est de 0,67, ce qui reste relativement moyen. En imaginant que la moyenne de créativité du groupe « rouge » est de 10 sur 20, que les scores de chaque groupe s’étendent selon une belle courbe de Gausse entre 0 et 20, la moyenne du groupe « bleu » serait de 12 sur 20… pas de quoi casser la baraque. Vous ne devez donc pas vous précipiter pour retirer tout ce qui est rouge de votre bureau. Et puis, dans d’autres contextes, notamment les codes vestimentaires féminins, le rouge revêt des fonctions de séduction (Kershner, 2018).

Naturel ou artificiel ?

Une autre étude peut nous aider à répondre à la question de la créativité et de la couleur. Selon un article de 2002 (McCoy et Evans, 2002), lorsque des personnes cherchent un endroit pour penser de manière créative, elles préfèrent :

  • des environnements aux couleurs chaudes et inspirantes (jaune, orange, rose, rouge ou rouge/violet) ;
  • des matériaux et meubles naturels ;
  • éviter les couleurs froides (vert, bleu, bleu/violet).

Plus importants encore, les auteurs ont également montré que les gens sont plus créatifs lorsqu’ils travaillent dans un environnement avec une complexité spatiale, des matériaux naturels et des couleurs chaudes, par rapport à un espace plus standard et terne avec des matériaux manufacturés et des couleurs froides. Aucune différence significative n’est apparue, cependant, sur un test standard de créativité (les tests de Torrance de la pensée créative), ce qui soulève des doutes quant à la généralisabilité des résultats. Encore une jolie preuve que nos impressions ne résistent pas toujours à l’épreuve des faits.

Le mot de la fin : optez pour le naturel !

Alors, finalement, quelle est la réponse à cette question ? Quelle couleur favorise la créativité ? Eh bien, comme vous vous en doutez, il n’existe pas de réponse simple. Cependant, la littérature scientifique nous suggère quelques idées. Tout d’abord, nous devons réaliser que nous utilisons généralement des combinaisons de couleurs, pas une seule couleur. Ainsi, au lieu de se concentrer sur une seule couleur, en espérant qu’elle fera des miracles, il est plus sage de penser au design global.

Une chose est sûre, c’est que l’environnement global doit inspirer des sentiments positifs : un affect positif peut améliorer la motivation au travail, mais aussi conduire à générer de plus en plus d’idées originales (Amabile et al., 2005 ; Frederickson, 1998 ; Isen, 2000). Cela se produit également dans les environnements virtuels tels que les sites internet et les applications (Lewis, Dontcheva et Gerber, 2011).

Ce qui nous amène à une autre question : « quel type d’environnement réel ou virtuel est capable d’inspirer des sentiments positifs ? » Une fois n’est pas coutume, la réponse est assez simple : optez pour un décor d’inspiration naturel. L’exposition aux environnements naturels, tels que les arbres, les champs et les forêts, mettra les gens de bonne humeur (Kaplan et Kaplan, 1989 ; Ulrich, 1983). Une plante en pot ou un petit bouquet de fleurs décorant le bureau peuvent également faire l’affaire (Shibata & Suzuki, 2004).

En résumé, les preuves suggèrent que pour la créativité, il est préférable de créer un environnement chaleureux et confortable, en utilisant des couleurs qui nous rappellent la nature (pensez à quelque chose comme le vert forêt, le brun bois, le bleu ciel, le blanc des nuages, etc.), et en ajoutant ici et là quelques touches de couleurs plus énergiques (orange ou jaune, mais peut-être pas rouge) comme les fleurs amenant de la pétillance dans nos paysages naturels préférés.

 

References

  • Amabile, T., Barsade, S., Mueller, J. and Staw, B. Affect and Creativity at Work. Administrative Science Quarterly, 50 (2005), 367-403.
  • Bargh, J. A., & Chartrand, T. L. (1999). The unbearable automaticity of being. American Psychologist, 54, 462–479.
  • Elliot, A. J., Maier, M. A., Moller, A. C., Friedman, R., & Meinhardt, J. (2007). Color and psychological functioning: the effect of red on performance attainment. Journal of experimental psychology: General, 136(1), 154.
  • Frederickson, B. What good are postive emotions? Review of General Psychology , 2 (1998), 300-319.
  • Isen, A. M. (2000). Positive affect and decision making. In M. Lewis & J. M. Ha viland (Eds.), Handbook of emotions (2nd ed., pp. 417 – 435). New York: Guilford.
  • Kaplan, R. & Kaplan, S. (1989). The experience of nature: A psychological perspective. New York: Cambridge University Press.
  • Kershner, Ariel M., « Do Clothing Style and Color Affect Our Perceptions of Others? » (2018). Faculty Curated Undergraduate Works. 47.
  • Lewis, S., Dontcheva, M., & Gerber, E. (2011). Affective computational priming and creativity. In Proceedings of the SIGCHI Conference on Human Factors in Computing Systems (pp. 735-744). ACM.
  • McCoy, J. M., & Evans, G. W. (2002). The potential role of the physical environment in fostering creativity. Creativity Research Journal, 14(3-4), 409-426.
  • Mehta, R., & Zhu, R. J. (2009). Blue or red? Exploring the effect of color on cognitive task performances. Science, 323(5918), 1226-1229.
  • Shibata, S., & Suzuki, N. (2004). Effects of an indoor plant on creative task performance and mood. Scandinavian journal of psychology, 45(5), 373-381.
  • Ulrich, R. S. (1983). Aesthetic and affective response to natural environment. In Behavior and the natural environment (pp. 85-125). Springer US.

 

Egide Altenloh
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