De l’estime de soi à la compassion pour soi

De l’Estime de Soi à la Compassion pour Soi

L’ACT (Thérapie d’Acceptation et d’Engagement) utilise beaucoup les processus d’acceptation. S’intéresser à la compassion pour soi est presque une évidence dans ce contexte.

En lisant de nombreux articles sur l’Estime de Soi (ES) – point faible de nombreux patients –, je me suis rapproché des perceptions d’auteurs comme Neff et Gilbert, à savoir que ce concept, très présent dans la conversation thérapeutique, recélait en lui une difficulté majeure quant à son applicabilité clinique.

Premièrement, l’ES est résistante au changement (Swann, 1996).

Ensuite, bien qu’il s’agisse d’un indicateur important dans de nombreuses études en psychologie, l’ES est basée sur l’évaluation de sa compétence et de sa valeur personnelle. Ce qui n’est pas un problème si l’ES s’appuie sur notre capacité à être une être humain qui mérite le respect de façon intrinsèque, sans condition de performance, Ce qui est le cas de l’ES Vraie que Deci et Ryan (1995) définissent comme des actions autodéterminées, autonomes, reflétant le Soi authentique.

Dans notre culture, la valeur de Soi s’appuie sur notre différence par rapport aux autres, sur ce qui nous fait ressortir du lot, sur ce qui nous rend spéciaux. C’est ce que Deci et Ryan (1995) appellent l’ES Contingeante. Pour une ES Contingeante, il n’est pas enviable d’être dans la moyenne. Pour avoir une perception positive de soi, l’individu doit être au-dessus de la moyenne. Or, mathématiquement, ce n’est pas tenable (Neff, 2004).

Une haute ES peut dériver en des tendances narcissiques inadéquates, à une préoccupation excessive pour soi et à se sentir peu concerné par autrui (Baumeister, Bushman, & Campbell, 2000). Une ES haute est associée à la violence envers ceux que l’on perçoit comme menaçant l’Ego (Baumeister, smart, & Boden, 1996), à la diminution d’autrui au service de se sentir bien soi-même (Feather, 1994) et à une augmentation des actes préjudiciables envers les groupes qui nous sont étrangers (Aberson, Healy, & Romero, 2000). Les tentatives d’amélioration de l’ES peuvent causer des distorsions au niveau de la connaissance de soi, par exemple les personnes ayant une haute estime d’eux-mêmes surestiment leur niveau de compétence (Sedikkides, 1993) ce qui peut amener les personnes qui souffrent d’une haute opinion d’eux-mêmes à avoir des difficultés à considérer les domaines de leur vie où une amélioration est nécessaire.

La Compassion pour Soi ne s’appuie pas sur des auto-évaluations et ne se réfère pas à un modèle standardisé de performances. Les gens ressentent de la compassion et de la tendresse pour eux-mêmes parce qu’ils sont des êtres humains,  et non parce qu’ils ont tel trait que les autres n’ont pas ou par rapport à un niveau de performance moyenne dans une certaine activité.

• Nul besoin de se sentir meilleur que les autres ou d’avoir de belles performances dans un domaine pour cultiver la CS et se sentir bien dans sa peau.

• La CS est plus stable que l’ES qui a tendance à fluctuer dans le temps (Kernis, Cornell, Sun, Berry, & Harlow, 1993)

• Il n’est pas nécessaire d’adopter une vision irréaliste de soi

• La CS motive au changement quand celui-ci est possible

• La CS ne souhaite pas augmenter la valeur personnelle, mais le bien-être

• Il est plus facile d’augmenter la CS que l’ES (du moins, en théorie)

• Elle est plus utile dans des domaines où l’amélioration est impossible (ex. apparence)

Définition de la Compassion pour soi : de la Compassion à la Compassion pour Soi

La Compassion émerge en nous lorsque nous sommes touchés par la souffrance d’autrui. Lorsque cela se produit, un sentiment de tendresse et un désir de prendre soin de l’autre apparaissent spontanément. La compassion pour une personne qui a fait une erreur ou qui vit un moment pénible, implique d’être ouvert d’esprit, d’adopter une attitude non-jugeante envers elle plutôt que de la critiquer sévèrement ou de la juger d’une quelconque façon (Wispe, 1991).

En étant touché par sa souffrance on reconnaît et partage avec elle les inévitables imperfections, limites et souffrances qui font de nous des êtres humains.

La définition de l’autocompassion n’est pas fondamentalement différente de celle de la compassion si ce n’est qu’elle est appliquée à soi.

La Compassion pour Soi implique d’être touché par, et ouvert à, sa propre souffrance, sans l’éviter ou s’en déconnecter ; d’avoir le désir d’alléger celle-ci et de se considérer avec douceur. La Compassion pour Soi implique une compréhension non-jugeante de sa douleur, de son incapacité ou de son erreur, et de reconnaître que son expérience douloureuse fait partie de ce que chaque être humain expérimente dans sa vie (Neff, 2003).

Comment utiliser ou s’entrainer à la compassion pour soi ?

La façon dont on expérimente habituellement la compassion est, bien évidemment, à travers la tendresse d’autrui. La compassion prend naissance dans la relation à l’autre et s’en nourrit. Nous pouvons activer et stimuler le sentiment d’être en relation à travers l’imagerie. Les images génèrent en nous un sentiment d’apaisement par le fait de se sentir en sécurité et d’être « pris en charge ».

De la même façon qu’imaginer notre plat préféré stimule notre organisme d’une façon spécifique, nous pouvons créer des images qui stimulent en nous l’apaisement.

L’idée est construire et cultiver une image de compassion, tant par le jeu que par la découverte.

Petit exercice introductif

Lorsque vous pensez à la compassion, quelles images se présentent à vous ?

Quelle couleur est associée à la compassion ? Quel son, quelle texture ?

Prenez un moment pour rester avec ces questions et observez ce qui se passe. S’il ne se passe rien, c’est très bien aussi.

Développer une image de compassion nécessite plus que de se centrer sur ses caractéristiques apaisantes. Il existe quatre qualités fondamentales à la compassion :

La sagesse. Elle sait ce que signifie être un être humain. Elle comprend ce qu’est la souffrance, la haine, le désespoir, la solitude, le désir et la joie. Elle comprend que les créations de l’esprit – avec tous ses sentiments, stratégies, stéréotypes complexes et parfois confus – font partie intégrante de l’existence et sait comment avancer elles.

La force et la résistance. Elle est solide et sait encaisser les chocs. Elle sait aussi se montrer énergique pour défendre ou protéger ce qui est important.

La chaleur et la douceur. Elle irradie un halo de tendresse. Dans certaines pratiques bouddistes, on imagine le bouddha envoyant la compassion sous forme d’énergie.

L’absence de jugement. Notre image de compassion ne nous condamne pas, ne nous juge pas, ne nous critique pas. Ce qui ne signifie pas qu’elle n’a ni désir ni préférence, seulement que son désir le plus profond est notre bien-être et notre épanouissement.

Nous avons les briques. Nous pouvons à présent construire notre image de compassion.

Cette image est unique et spécialement construite pour vous. Certaines personnes choisissent une image religieuse, comme Bouddha ou le Christ. Si ces figures peuvent vous aider, utilisez-les. Cependant, pour notre exercice nous allons créer une nouvelle image, sur-mesure.

Il y a deux raisons de créer une image sur-mesure. La première est qu’un idéal est ce qui est idéal pour vous (qui ne pourait pas forcément être idéal pour quelqu’un d’autre). Vous lui donnerez toutes les qualités qui sont importantes pour vous dans la compassion. La seconde est que le jugement et la punition sont parfois associés aux images religieuses, ce qui n’est pas réellement en accord avec la dernière caractéristique de la compassion : l’absence de jugement.

L’exercice

•Trouvez un endroit pour vous asseoir confortablement et où vous ne serez pas dérangé.

•Mettez une musique agréable ou branchez une petite fontaine-à-eau ou toute autre stimulation sensorielle qui rendre l’endroit agréable. Vous n’aurez pas à le refaire systémiquement par la suite, mais dans un premier temps, cela peu vous aider à vous détendre et à induire une humeur positive.

•Assoyez-vous, fermez les yeux ou regardez un point fixe, au sol, à 2 mètres de distance si vous préférez garder les yeux ouverts.

•Portez votre attention sur votre respiration et ralentissez le rythme doucement. Tentez d’arriver à un rythme où le cycle respiratoire (inspiration/expiration) dure entre 4 et 6 secondes. Ne forcez pas. Respirez avec douceur. Le but de cette opération est de vous apaiser, de vous détendre.

•Lorsque vous sentez que votre corps est en harmonie avec votre respiration, commencez à imaginer votre image de compassion.

•Exprimez la compassion avec votre visage : détendez les muscles de votre visage, le front, les yeux, la mâchoire et imprimez un léger et tendre sourire sur vos lèvres.

Prenez un peu de temps pour rester avec les choses suivantes :

Si vous pouviez construire votre « Autre de compassion » idéal (qui peut être un humain ou non), quelles qualités devrait-il avoir ? Si vous rencontrez des difficultés à faire cette étape tentez d’explorer ces deux questions : Si vous pouviez construire un « Autre de compassion » idéal pour un enfant, quelles qualités devrait-il avoir ? Comment changerait il à mesure que l’enfant grandit et à quoi ressemblerait-il une fois l’enfant devenu adulte ?

Pour vous aider, vous pouvez également répondre aux questions suivantes en prenant 30 secondes de respiration consciente et calme entre chaque question et en respirant à l’intérieur de chaque mot lorsque vous vous posez la question pour vous-même. Laissez alors l’image venir, ne tentez pas de la chercher ou de trouver quoi que ce soit. N’essayez pas de répondre à la question avec votre mental. Laissez plutôt la question répondre d’elle-même. Ecoutez ce qu’elle vous dit quand vous passez un peu de temps avec elle, en étant conscient et en respirant tranquillement. Si rien ne vient, c’est très bien aussi. Retournez alors à votre respiration avec la douceur que vous souhaiteriez trouver dans votre image de compassion.

Souhaitez-vous que votre image de compassion/d’amour/d’attention/de bienveillance exhale/ait l’apparence/soit :

•Vieille ou jeune ?

•Masculine ou féminine ?

•Humaine ou non-humaine (ex. animal, végétal, minéral, mer, lumière …) ?

Quels sons et quelles couleurs sont associés aux qualités de la sagesse, de la force, de la douceur et de l’absence de jugement ?

Si vous trouvez « seulement » une couleur de compassion qui vous amène soin et chaleur, c’est un très bon départ. Ce qui compte est que votre couleur et votre image aient de la compassion pour vous.

A quoi souhaiteriez-vous que votre image de compassion idéale ressemble ? Quelles devraient être ses qualités visuelles ?

Quels sons souhaiteriez-vous qui accompagnent votre image de compassion idéale (ex. ton de la voix, son environnemental …) ?

Quelles autres qualités sensorielles souhaiteriez-vous que votre image de compassion idéale ait (ex. température, odeur, texture …) ?

Comment souhaiteriez-vous que votre image de compassion idéale se connecte avec vous ?

Comment souhaiteriez-vous vous connecter avec votre image de compassion idéale ?

Il est parfois utile de tester différents genres pour votre image. Si vous allez naturellement vers une image de femme, testez un homme et vice versa. Nous avons parfois des sentiments négatifs envers l’un ou l’autre sexe. Changer le genre peut être utile pour explorer ces sentiments mais peu aussi faire émerger de grandes résistances … qui, à leur tour, peuvent aussi être explorées, si c’est utile.

Vous pouvez avoir plus d’une image et celle-ci peut changer avec votre humeur. Vous pouvez avoir des images masculines et féminines qui vous donnent différents types de compassion ou encore des images qui sont des deux sexes en même temps … ou encore aucun des deux.

Bibliographie

Aberson, C. L., Healy, M., & Romero, V. (2000). Ingroup bias and self-esteem: A meta- analysis. Personality & Social Psychology Review, 4, 157–173.

Baumeister, R., Bushman, B., and Campbell, K. (2000).  Self-Esteem, Narcissism, and Aggression: Does Violence Result from Low Self-Esteem or From Threatened Egotism?  Current Directions in Psychological Science, 9(1), 26-29.

Baumeister, R. F., Smart, L., & Boden, J. M. (1996). Relation of threatened egotism to violence and aggression: The dark side of high self-esteem. Psychological Review, 103, 5– 33.

Deci, E. L., & Ryan, R. M. (1995). Human autonomy: The basis for true self-esteem. In M. H. Kernis (Ed.), Efficacy, agency, and self-esteem (pp. 31–49). New York: Plenum Press.

Feather, N. T. (1994). Attitudes toward high achievers and reactions to their fall: Theory and research concerning tall poppies. In M. Zanna (Ed.), Advances in experimental social psychology (pp. 1–73). San Diego, CA: Academic Press.

Kernis, M.H., Cornell, D.P., Sun, C.R., Berry, A., & Harlow, T. (1993).There’s more to self-esteem than whether it is high or low: The importance of stability of self-esteem. Journal of Personality, 65, 6.

Neff, K. (2003). Self-Compassion : An alternative conceptualization of a healthy attitude toward oneself. Self and Identity, 2, 85-101.

Neff, K. (2004). Self-Compassion and psychological well-being. Constructivism in the Human Science, 9(2), 27-37.

Sedikides, C. (1993). Assessment, enhancement, and verification determinants of the self-evaluation process. Journal of Personality and Social Psychology, 65, 317–338.

Swann, W. B. (1996). Self-traps: The elusive quest for higher self-esteem. New York: Freeman.

Wispe, L. (1991). The psychology of sympathy. New York: Plenum.

Gilbert, P. (2010). The compassionate mind : a new approach to life’s challenges. London: Constable.

Egide Altenloh
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