Pleine Conscience : tour d’horizon et applications

je_suis_arrivLa pleine conscience est une qualité de la sensibilité humaine caractérisée par une conscience accueillante et une attention soutenue du flux continu de ce qui forme l’expérience. La pleine conscience nous ancre dans l’instant présent et nous permet de percevoir avec plus de clarté la façon dont nos expériences intérieures, les émotions, les pensées, les sensations, peuvent influencer notre santé et notre existence.

Dans cet article nous allons décortiquer la pleine conscience de façon à vous permettre d’évaluer si la pleine conscience est une piste à explorer ou non pour votre mieux-être.

Définitions de la pleine conscience

Il existe plusieurs définitions de la pleine conscience.

Tout d’abord la définition classique de la pleine conscience, que l’on trouve dans tous les manuels de pleine conscience appliquée et qui a été formulée par Jon Kabat-Zinn (2003). Selon lui, la pleine conscience est l’état de conscience qui résulte du fait de porter son attention, intentionnellement, au moment présent, sans jugement, sur l’expérience qui se déploie moment après moment.

J’ai une préférence pour celle de Bishop et al. (2004), qui définit la pleine conscience comme un ensemble de deux éléments : l’autorégulation de l’attention et l’orientation de celle-ci vers sa propre expérience, dans le moment présent. Cette orientation est caractérisée par la curiosité, l’ouverture et l’acceptation.

Il existe encore d’autres définitions. Il suffit de se plonger dans quelques articles scientifiques pour s’en rendre compte.

Pour ma part, la pleine conscience peut se définir en un verbe, toujours changeant, qui est ce qui vous anime, ici, maintenant : « mange » si vous êtes en train de manger, « bois » si vous êtes en train de boire, « respire » si vous êtes en train de respirer, « lis » si vous êtes en train de lire etc.

Revenons à la définition de Bishop.

L’autorégulation de l’attention sous-tend trois autres éléments :

L’attention soutenue : notre capacité à maintenir notre attention pendant plusieurs minutes ;

La flexibilité de l’attention : notre capacité à engager et désengager notre attention d’un objet ou encore de pouvoir passer d’un objet d’attention à un autre ;

L’inhibition des processus d’élaboration cognitive (ou en français, l’inhibition de la « fabrication de la pensée ») : lors de la pratique de la pleine conscience, on va considérer les pensées comme des expériences, au même titre que les sons ou les odeurs, alors qu’habituellement nos pensées sont le produit et l’outil de notre réflexion. Ici, nous allons observer l’outil plus que de s’en servir. C’est un peu comme regarder des lunettes plus que de voir le monde à travers elles. En somme, cela revient à « penser » les pensées de la façon suivante : « tiens, c’est intéressant, j’ai la pensée que je ne fais pas bien cet exercice », « tiens, c’est intéressant, j’ai la pensée que je ne suis pas assez ceci/cela ». Ekart Tolle parle « d’observer le penseur ».

Fondamentalement, observer ses pensées n’est pas un exercice de pleine conscience mais un exercice de prise de conscience orientée. Cependant, il est utile dans l’apprentissage de la pleine conscience de passer d’une prise de conscience à une autre prise de conscience pour augmenter progressivement le spectre des objets sur lesquels nous pouvons porter notre attention sans jugement.

En faisant cela, nous libérons des ressources cognitives et nous nous affranchissons du filtre de la « réflexion » pour ouvrir notre attention à plus d’informations issues de notre expérience directe. Cela ressemble un peu à regarder à travers ses doigts, la main collée au visage, puis de doucement éloigner sa main de son visage (faites-le réellement, n’imaginez pas seulement ce que cela peut faire avec vos pensées 😉 ). La pratique de la pleine conscience permet de développer une perspective plus complète et étendue de l’expérience.

La définition de la pleine conscience de Bishop fait également référence à une orientation particulière de l’attention. Cette orientation est caractérisée par une attitude curieuse et bienveillante à l’endroit où l’attention se trouve, qu’elle ait ou non glissée de son point d’ancrage : la respiration ou les sensations par exemple. Cette attitude bienveillante est cultivée à propos de toute expérience qui se présente à nous dans l’instant présent. Il ne s’agit pas de créer un sentiment de bien-être ou de relaxation. Encore moins de changer notre vécu. Il s’agit de considérer notre existence comme quelque chose d’important, d’unique et de précieux, et de tisser une relation positive et accueillante à propos de chaque expérience qui compose cette existence où chacune d’elles est également importante, unique et précieuse.

Dans une méta analyse récente, Baer et ses collaborateurs (2006) ont fait ressortir que l’ensemble des échelles mesurant la pleine conscience était composée de 5 facteurs (concept très à la mode Outre Atlantique) : Agir avec conscience, le non jugement, la non réaction, la description de l’expérience et l’observation.

Les effets bénéfiques reconnus de la pleine conscience :

Un article intéressant regroupant la majorité des informations reprises dans cette section est celui de Davis et Hayes (2011).

La pleine conscience réduit la rumination mentale

Une pratique régulière de la méditation permet de réduire notre tendance à être agrippé à certaines pensées (souvent les mêmes …) (Chambers et al. ,2008 ; Deyo, Wilson, Ong, & Koopman, 2009) et à rester coincé dans le cercle vicieux de la rumination.

La pleine conscience diminue le stress

La pleine conscience augmente les émotions positives et diminue l’anxiété et les affects négatifs. Les deux protocoles majeurs de pleine conscience (Mindfulness Based Cognitive Therapy, MBCT, et Mindfulness Based Stress Reduction, MBSR) ont montré leur efficacité à changer les processus affectifs et cognitifs à l’œuvre dans multiples problématiques cliniques (Hoffman et al. 2010, Grosseman et al. 2007).

La pleine conscience booste la mémoire de travail (Chambers et al. 2008 ; Jha et al. 2010)

La mémoire de travail est ce qui nous permet de retenir une information à court terme (un numéro de téléphone par exemple) et qui nous permet de manipuler et traiter l’information provenant de notre expérience sensorielle. Une amélioration de cette outil de traitement de l’information nous rend plus performant, tant sur le plan de la vitesse de traitement (on peut traiter plus d’informations en même temps) que sur le plan de la qualité de traitement (on fait moins d’erreurs). 

La pleine conscience améliore les trois composantes de l’autorégulation de l’attention

Ici c’est l’effet de l’entrainement attentionnel : plus on entraine une compétence, plus elle est performante. La pratique de la pleine conscience augmente notre capacité à maintenir notre attention sur un objet (attention soutenue), à y revenir (flexibilité) et à ne pas se laisser embarquer par des pensées « parasites » (inhibition de l’élaboration)(Moore & Malinowski, 2009). 

La pleine conscience diminue la réactivité émotionnelle (Ortner et al., 2007)

S’entrainer à observer ses sentiments sans y réagir impulsivement, avec une conscience curieuse, ouverte et bienveillante occasionne une plus grande tolérance aux expériences émotionnelles que nous trouvions jadis insupportables et nous ne nous engageons plus dans des comportements d’évitement, de fuite ou d’agression qui, pour certains d’entre eux, compliquent plus le « problème » que ne le règlent.

La pleine conscience améliore notre satisfaction relationnelle

Plusieurs études montrent que la capacité à être pleinement conscient est reliée à la satisfaction relationnelle, à l’habileté à répondre efficacement au stress relationnel, à communiquer ses émotions à autrui, et protège des effets délétères des conflits interpersonnels (Barnes et al., 2007 ; Dekeyser el al., 2008 ; Wachs & Cordova, 2007). Actuellement, on utilise la pleine conscience en thérapie de couple, tant pour se protéger soi-même d’un conflit (« prendre refuge en soi-même ») que de développer une relation épanouie, tant sur le plan sexuel (Géonet et al. 2011) que relationnel (Allard & Altenloh, 2011, Carson, Carson, Gil, & Baucom, 2006).

Autres bénéfices

Des études ont montré que la pleine conscience améliore la compréhension de soi, la moralité, l’intuition et augmente le sentiment de contrôle de la peur. La pleine conscience augmente le fonctionnement du système immunitaire, améliore le bien-être et réduit la détresse psychologique (Grossman et al., 2007). Sur un plan plus cognitif, la pratique de la méditation de pleine conscience augmente la vitesse de traitement de l’information (Moore & Malinowski, 2009), diminue l’effort de la tâche ainsi que les pensées non reliées à la tâche en cours (Lutz et al., 2009).

Pourquoi ça marche ?

La littérature en est encore à ses balbutiements à ce sujet. Il y a plusieurs hypothèses et niveaux d’analyse.

On rapporte souvent dans la littérature l’effet de relaxation (Dunn, Hartigan, & Mikulas, 1999) qui suit la pratique de la pleine conscience. La relaxation n’est pas recherchée lors de la pratique, cependant il semblerait que cela soit un effet collatéral.

La méditation de pleine conscience favorise le développement d’un insight méta-cognitif dans le sens où l’on perçoit les pensées comme un évènement cognitif passagé plutôt qu’une représentation précise de la réalité. Ce processus, autrefois appelé distanciation, peut aboutir à une défusion cognitive. La défusion est la prise de perspective par rapport aux pensées : celles-ci sont considérées comme des événements cognitifs dépendant de leur contexte d’émergence et non comme des représentations ontologiques de la réalité (Masuda, Hayes, Sackett, & Twohig 2003). La défusion augmente le nombre et l’adaptabilité des réponses aux difficultés que l’on rencontre, autrement dit la flexibilité cognitive (Hayes 2003).

La méditation de pleine conscience favorise le niveau d’acceptation de son expérience directe.  Cette acceptation permet de répondre d’une autre manière à notre expérience qu »avec nos vieilles réponses automatiques. En ne réagissant pas et en tolérant l’inconfort, nous avions l’opportunité de traiter les informations issues d’émotions désagréables avec moins de biais de sélection : nous les traitons toutes (nous n’entrons pas dans nos schémas de défenses comportementaux et cognitifs) et sans a priori (observation non-jugeante), donc en étant plus proche de la « réalité » de celles-ci laissant les réactions émotionnelles concomitantes se diffuser et permettant une action « libre » et « choisie ».

Tout ça est bien alléchant. Mais comment y arriver ?

En tant que comportementaliste, je dirais que c’est très simple : l’entrainement. Plus on s’entraine, plus on y arrive.

La pleine conscience est un comportement attentionnel ayant une certaine forme, une certaine qualité et certaines conséquences dans certains contextes.

En s’entrainant à porter son attention sur les pensées, par exemple, plus que d’analyser le monde par leur entremise, la pleine conscience permet de prendre de la distance par rapport à certaines histoires que notre esprit nous raconte sur le monde, la personne que l’on a été, que l’on est et que l’on sera, ce qu’on aurait dû/devrait faire ou ce que les autres auraient dû/devraient faire et qui a tendance à nous rendre malheureux et nous éloigner de nos objectifs de vie.

Avec cette distance, cette flexibilité accrue par rapport aux pensées, nous avons la possibilité de désengager notre attention de pensées « toxiques », de créer une vie qui nous ressemble, où nous prenons conscience de la valeur fondamentale et intrinsèque de la personne que nous sommes et où nous développons une conscience étendue de notre identité : nous sommes davantage que les « je », « mon », « moi ». On expérimente le doux paradoxe de se connecter très intimement à une partie fondamentale de notre « être » en nous désengageant d’une vision égocentrique du « moi ». Cette vision égocentrique est en grande partie l’origine de nombreuses souffrances que l’on traine dans nos valises. La rancune, la colère, la vengeance sont toutes tissées du même fil.

La pleine conscience est une attitude par rapport à la vie plus qu’une technique. En ce sens, elle peut être pratiquée à tous moments et dans toutes circonstances. Il n’y a pas de limite.

Utilisation de la pleine conscience en psychologie

Bien que la méditation pleine conscience est pratiquée depuis des millénaires dans les pays d’Asie, cela ne fait que quelques décennies que les chercheurs en psychologie s’intéressent à sa potentielle utilité dans les soins de la personne en souffrance.

Les programmes généralistes

Ces programmes, habituellement proposés en groupe de 12 à 20 personnes, proposent un entrainement formel à la pleine conscience, comme base commune. Je parle ici des deux programmes majeurs de pleine conscience : MBCT et MBSR.

Ils prennent la forme de 8 séances de 2 heures chacune où une thématique particulière est explorée à travers des exercices de pleine conscience ou de la psychoéducation. L’avantage de ces programmes est que vous pouvez en trouver partout et que les instructeurs suivent un protocole empiriquement validé. Cela évite les dérives inévitables dans un domaine de soin touchant à  la méditation issue d’une tradition bouddhiste. Bien que la pleine conscience des protocoles sus mentionnés se dit « laïque », elle contient tout de même la base de la méditation que l’on pratique dans cette belle philosophie. L’inconvénient est celui de son avantage : un protocole unique.

Fort heureusement, chaque instructeur a son style propre.

Dans un enseignement à la pleine conscience, la personnalité du formateur est importante (modeling) et enseigne autant la pleine conscience que les techniques de méditation explorées lors des rencontres avec celui-ci. A ma connaissance, aucune étude n’évalue l’effet « enseignant ». Cependant, conscient de l’effet majeur de la qualité de l’enseignant, Jon Kabat Zin insiste fortement pour que les enseignants à la pleine conscience pratiquent au moins 45 minutes de méditation journalière. Avant de vous engager dans un programme de pleine conscience, demander à l’instructeur quel est son niveau de pratique, cela vous donnera une idée de la qualité de l’enseignement qu’il pourra vous proposer. Je pratique la course à pied, et pour progresser j’utilise parfois les services d’un coach. Je ne vais pas prendre comme coach une personne qui court moins souvent que moi ou qui n’a plus fait de course à pied depuis 20 ans. Il en va de même avec la pleine conscience.

L’une des spécificités communes à ces deux protocoles est qu’ils ratissent large dans les « pathologies » auxquelles ils s’adressent. Stress et dépression sont des troubles émotionnels très communs. En donnant des clés pour certaines émotions, la généralisation à d’autres troubles ou difficultés est assez rapide. Par ailleurs, les deux protocoles se centrent sur les émotions au sens large.

Les programmes spécialisés

Plusieurs protocoles spécialisés, autres que les deux cités plus haut, ont vu le jour. L’un pour les troubles alimentaires, l’autre pour l’anxiété, pour le burn-out, adaptés aux enfants, aux adolescents, aux couples, au trauma, centré sur de la compassion pour soi …

L’avantage de ces protocoles est que les participants partagent une même problématique, ce qui permet des discussions de fond et une psychoéducation très spécifique qui touche chacun d’entre eux.

Le désavantage est justement la spécificité de contenu du programme : il manque de flexibilité.

La pleine conscience dans le cabinet du psy

De plus en plus de psys (dont je fais partie) proposent des exercices de pleine conscience au sein de la consultation. Tant pour soi en tant que thérapeute que pour le client ou encore la relation entre ceux-ci, les exercices de pleine conscience n’ont que la limite de l’imagination du thérapeute. Pleine conscience des Emotions, pleine conscience des Valeurs, pleine conscience des Besoins, pleine conscience de la relation, pleine conscience des tendances à l’action … Cultiver la Compassion pour Soi à travers la méditation et la pleine conscience devient de plus en plus courant. Le psychologue qui vous écoute parler distraitement ou qui tente de vous persuader que vos pensées sont erronées et que vous devriez en avoir d’autres est une époque révolue (ou devrait l’être).

En tant que thérapeute, la pleine conscience me permet de prendre soin de moi, de respecter mes limites, de connaître mon humeur et de percevoir comment celle-ci interfère dans ma façon d’aborder un client et ses difficultés. La pleine conscience permet également de cultiver une présence authentique et entière au client qui vient me rendre visite. Mon cas n’est pas isolé. La recherche montre que les thérapeutes qui pratiquent régulièrement la pleine conscience développent leur capacité à éprouver de l’empathie et de la compassion, tant pour eux que pour leurs clients (Shapiro, Astin, Bishop, & Cordova, 2005 ; Wang, 2006). Les praticiens qui cultivent la pleine conscience sont plus à l’aise avec les silences, plus attentifs aux processus cliniques à l’œuvre dans l’instant présent de la relation, plus à l’aise avec leur propre contenu cognitivo-émotionnel ainsi que ceux de leurs clients (Newsome, Christopher, Dahlen, & Christopher, 2006; Schure, Christopher, & Christopher, 2008).

Les thérapeutes qui pratiquent personnellement la pleine conscience ont moins de stress et d’anxiété dans leur vie, souffrent moins de la rumination et des affects négatifs (Shapiro et al., 2007). Ils ont une meilleure qualité de vie et souffrent moins de symptômes psychopathologiques après avoir suivi un programme d’entrainement à la pleine conscience. Il existe un lien entre la pratique de la pleine conscience et le sentiment d’efficacité personnel de soignant (Greason & Cashwell, 2009). Pour terminer, il semblerait que la pleine conscience augmente la patience, l’intentionnalité, la conscience corporelle et la gratitude (Rothaupt & Morgan, 2007).

Cela fait un bon nombre de raisons de s’acheter un zafu et de pratiquer régulièrement la pleine conscience lorsque l’on est un professionnel de la santé. On pourrait dire que la pleine conscience est une forme de formation continue.

Les études controversées sur le lien entre la pleine conscience du soignant et l’efficacité de la thérapie (lien inversé selon plusieurs études) ont amené à la réflexion suivante : il est probable que les soignants hauts en pleine conscience repèrent mieux les moments où ils étaient distraits et donc se scorent plus bas sur les échelles de pleine conscience que ceux qui ne s’en rendent pas compte.

La pleine conscience c’est aussi ça : être davantage conscient de ses absences et distractions.

C’est d’ailleurs un très bon moyen de s’initier à la pleine conscience : noter le plus souvent possible quand on est absent (ce qui implique que l’on soit à nouveau « présent ») où « embarqué » dans ses pensées (ce qui implique que l’on ait « débarqué », au moins en partie).

Quand la pleine conscience n’est pas recommandée …

On entend parfois dire que la pleine conscience ne serait pas recommandée si l’on est en phase aigue de dépression. C’est faux. Il n’est pas recommandé de suivre un protocole de groupe comme la MBCT ou la MBSR dont la formule n’est pas adaptée à des personnes en souffrances aigues. Suivre un programme qui n’est pas adapté au contexte émotionnel de la personne est effectivement inadéquat voir contre productif.

Les interventions actuelles les plus efficaces concernant la dépression font toutes appel à la pleine conscience. Pour s’en persuader, il suffit de lire les protocoles de traitement actuels d’Activation Comportementale ainsi que les protocoles de traitement traitant spécifiquement de la rumination mentale, moteur principal de la dépression (pour une revue, voir Altenloh, 2011).

Lors d’un épisode dépressif, la pratique de la pleine conscience a pour but d’augmenter le contact expérientiel avec les renforçateurs de la personne lorsqu’elle pratique des activités nourrissantes. L’usage de la pleine conscience se fait aussi pour contrer les ruminations … un usage adéquat de la pratique permet d’aider une personne souffrant de dépression sévère, même en phase aigue, à aller mieux. Un exemple simple d’exercice de pleine conscience adaptée aux personnes en souffrance psychologique est de savourer leur plat préféré, ou celui qui leur plaisait le plus avant qu’ils ne soient déprimés. Pour les personnes qui ont des difficultés avec les « longs » exercices de pleine conscience souvent proposés dans les ateliers MBSR MBCT, on peut proposer des exercices fractionnés : 5 minutes de pleine conscience, 5 minutes de « pause » (massage en pleine conscience des articulations des pieds), 10 minutes de pleine conscience, 5 minutes de « pause » (étirement en pleine conscience des jambes, du dos), 15 minutes de pleine conscience etc … Ce n’est pas compliqué, il suffit, en tant que thérapeute, de s’adapter à ce que le patient est capable de faire et de sortir des exercices « tout fait » des protocoles de traitement. Pour les amateurs de thé, je propose par exemple de boire un thé pendant la séance (offert par la maison) et de prendre pleinement conscience de chaque gorgée. Une autre façon d’intégrer la pleine conscience dans la consultation est de mettre une minuterie qui sonne à intervalles répétés et qui donne le signal de pratiquer trois cycles respiratoires consciemment ou encore de faire l’exercice de la carte SIS. Il existe de nombreux moyens d’intégrer la pleine conscience à sa pratique thérapeutique.

La méditation a tout de même quelques risques. Au cours de la méditation, le méditant peut faire des expériences particulièrement difficiles, qui touchent à ses souvenirs, à la personne qu’il est ou la façon dont il vit son existence. Ces difficultés peuvent toucher la sphère spirituelle et ou faire partie de l’émergence de celle-ci. Quoi qu’il en soit, cela peut remettre en question l’individu à un niveau fondamental, ce qui peut entrainer des difficultés d’adaptation. Le DSM a même un nom pour cela : les problèmes religieux ou spirituels.

Les tibétains ont également un terme pour un problème issu de la pratique intensive de la méditation : sokrlung. Cela ressemble à une forme de schizophrénie. Des problèmes similaires peuvent apparaître chez les personnes ayant un passé schizophrénique qui entament une pratique intensive de la méditation sans encadrement spécifique. Le problème majeur peut être l’attente d’une expérience mystique particulière alors qu’il n’y a rien de particulier à attendre si l’on souhaite avoir une chance de toucher ce que nous promet la méditation : l’apaisement de l’esprit.

Encore un beau paradoxe : attendre l’apaisement de l’esprit ou tout autre chose de la pleine conscience nous en éloigne inexorablement. Ne rien en attendre nous amène cette tranquillité. S’asseoir sur un Zafu, c’est tout.

Shapiro (1992) a suivi 27 méditants ayant une moyenne de 5 années de pratique régulière et quelques retraites silencieuses. Les participants à l’étude mentionnaient plus d’effets positifs que négatifs, 62.9% mentionnaient au moins un effet négatif durant ou après la méditation et 2 sujets rapportaient des effets négatifs très sérieux. Les effets négatifs de la pleine conscience rapportés dans l’ensemble de l’étude étaient de l’anxiété et un sentiment de panique induit par la relaxation, une augmentation paradoxale de la tension, un désœuvrement existentiel, de l’ennui, de la douleur, de la confusion, de la désorientation, un sentiment de vide, de la dépression, une augmentation de la négativité, plus de jugements, et, ironiquement, un sentiment d’addiction à la méditation.

Dans la littérature spirituelle, il n’est pas rare de voir de tels états décrits comme normaux, parfois nécessaires au développement spirituel. Certaines écoles de psychologies décrivent ces expériences de façon positive comme le fait Jung à travers son nigredo psychologique.

La pratique intensive de la méditation, comme lors de retraite méditative silencieuse, peut également faire rechuter une personne ayant par le passé été la proie de troubles psychologiques sévères (Walsh & Roche, 1979).

La méditation, peut aussi être utilisée comme un moyen de défense psychologique, une façon d’éviter de se confronter à des émotions, des souvenirs ou des contextes de vie difficiles. Les personnes qui méditent à chaque fois qu’une émotion désagréable ou douloureuse se présente sont engagées dans un processus d’évitement de cet ordre.

Certaines conditions psychologiques impliquent de la prudence dans l’utilisation de la méditation (pleine conscience ou concentration). Les affections psychologiques qui impliquent un rapport particulier à la réalité, les frontières de l’ego peu claires, un manque d’empathie ou un besoin de contrôle très rigide font partie des signes qui doivent engager la prudence dans le chef de l’enseignant. Comme le dit Jack Engler dans une interview, « Vous devez d’abord devenir quelqu’un avant de ne devenir personne ». Il est important d’avoir un Sens de Soi cohérent et une relation au monde saine avant d’entreprendre un travail méditatif. Engler souligne que les personnes ayant des structures narcissiques ou borderlines peuvent attendre de la méditation qu’elle les « purifie » ou encore interpréter leur sentiment de vide et de fragmentation comme le signe de la vacuité ou du désintéressement de l’illumination. Le problème est la rigidité de leurs attentes : ils ne souhaitent l’illumination qu’à leurs conditions. Ce type de raccourcis pour arriver à une « guérison » peut être dangereux, tant pour eux que pour leur entourage. Chez certaines personnes, la méditation peut exacerber les traits obessionnels et/ou schizoïdes (dont la caractéristique majeure est un manque d’intérêt pour les relations sociales).

Bien que la méditation, en particulier la pleine conscience, soit un outil très puissant de découverte de soi, elle peut ouvrir le pratiquant à des dimensions de son expérience particulièrement pénibles, voir insurmontables pour des personnes fragiles psychologiquement.

De plus, la relaxation profonde induite parfois par la méditation peut entrainer de l’anxiété chez les individus ayant des difficultés avec le lâcher prise. Dans leur cas, des séances individualisées avec un apprentissage progressif est la méthode recommandée.

Il est important de bien prendre en compte l’ensemble des dimensions de la personne avant de lui proposer une forme de méditation et surtout adapter celle-ci tant à la problématique, au niveau qu’aux caractéristiques de la personne.

D’un point de vue plus spécifique, la méditation de concentration impliquant une concentration de l’énergie psychique sur un objet particulier peut exacerber les tendances dissiociatives. La méditation de pleine conscience, plus centrée sur la conscience de Soi peut faire émerger des émotions et souvenirs refoulés.

Bien qu’il en existe quelques-unes (Perez-De-Albeniz & Holmes, 2000 ; Lustyk, Chawla, Nolan & Marlatt, 2009), peu d’études scientifiques ont été publiées sur la question des effets négatifs de la méditation.

Certains effets « secondaires » de la pratique méditative peuvent être recherchés par les pratiquants, comme c’est le cas du Koundalini dans le Yoga.

La pleine conscience et la méditation

La méditation n’est pas la pleine conscience et inversement, la pleine conscience n’est pas de la méditation. Il arrive parfois que l’on utilise le terme « pleine conscience » pour parler de « méditation pleine conscience ». La méditation est une activité formelle qui se pratique souvent assise ou couchée. La méditation est codifiée. Il y en a de différents types : concentration, transcendantale, pleine conscience. La pleine conscience est la plus étudiée dans la recherche en psychologie.

La pleine conscience est une forme de méditation. La méditation de pleine conscience est aussi appelée pratique « formelle » de la pleine conscience.

La pleine conscience est aussi une façon particulière d’aborder, du lever au coucher, chaque instant, chaque expérience, comme unique, précieux et digne du plus grand intérêt. On parle alors de pratique informelle. L’une comme l’autre peuvent être enseignées. Pour l’une comme pour l’autre, il est fondamentale que l’enseignant pratique régulièrement, de façon à enseigner la pleine conscience aussi par son propre comportement (modeling).

La pleine conscience et la religion

Les ateliers de pleine conscience vont probablement vous inviter à regarder la vie d’une autre façon. Cette prise de perspective nouvelle n’a rien à voir avec le bouddhisme ou l’indouisme ou tout autre philosophie ou religion qui intègre la pratique de la pleine conscience dans le développement de sa spiritualité. Pas de « gourou » ni de « maître » dans la pratique de la pleine conscience, juste une personne qui propose des pistes pour faire votre chemin.

Bonne pratique !

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Egide Altenloh
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