Hier soir, lors du groupe de gestion de la colère, j’ai demandé aux participants de partager avec le groupe les astuces et activités qu’ils faisaient déjà, avant le groupe, pour les aider à se calmer. C’est un moyen simple et efficace de proposer aux membres du groupe un panel de stratégies qu’ils ne connaissent pas ou auxquelles ils n’ont jamais pensé. Dans le groupe d’hier soir, il y avait un pratiquant d’arts martiaux et une de ses stratégies était de boxer un sac de frappe. « Classique » diront certains. « Dangereux » diront d’autres dont je fais partie.
Frapper dans un sac quand on est en colère est-il dangereux ?
Oui et non. Si vous n’êtes pas un habitué du sac de frappe, que vous visualisez la personne impliquée dans votre colère ou que vous repensez à la situation au moment de la frappe, vous créez une proximité temporelle entre la colère et le comportement de frappe. En imaginant que vous avez bien positionné votre bras et votre poing, vous n’aurez probablement pas mal et ressentirez sans doute une forme de soulagement. Bardaf : une association commence à naitre entre la colère, la tête d’abruti.e, la frappe et le soulagement. En tant que thérapeute, cette possibilité est suffisamment dangereuse pour tirer la sonnette d’alarme lorsqu’un patient me parle de ça.
C’est ce qui s’est passé hier. Le patient en question partageait totalement mon opinion sur la question. Il a cependant amené une nuance importante : il pratique les arts martiaux. Dans son contexte, dès qu’il est en face d’un sac de frappe, il « shift » en mode « entrainement » et n’est plus en colère, ne pense plus à la situation qui l’a mis en colère et est totalement engagé dans la réalisation la plus parfaite possible de ses techniques de combat.
De la nuance, encore et toujours.
Ce matin, la question du lien entre la colère, l’agressivité et les sports de combat me trottait en tête et j’ai commencé compulser les articles scientifiques sur la question. Franchement, les résultats des recherches sont très intéressants.
L’exercice physique et gestion de la colère
L’exercice physique, de manière générale, s’est révélé bénéfique pour la gestion de la colère. Il favorise la synthèse de neurotransmetteurs, en particulier de la sérotonine, qui joue un rôle essentiel dans l’inhibition de la colère et de l’agressivité (González-Gross et Cañada, 2015). Cependant, la relation entre la pratique sportive et la colère n’est pas encore complètement comprise.
Certaines études ont suggéré que le type de sport pratiqué peut influencer le comportement agressif des athlètes. Par exemple, les sports de contact comme le football américain peuvent susciter davantage d’agressivité en raison de leur nature violente (Steinfeldt et Steinfeldt, 2012). En revanche, un environnement sportif positif peut enseigner des valeurs positives et aider à réduire le niveau de violence chez les athlètes (Passero, 2015).
La Colère et l’Agressivité : Un Lien Étroit
Maxwell (2004) souligne que la colère est l’un des antécédents de l’agressivité humaine, bien que la colère seule ne soit ni nécessaire ni suffisante pour déclencher un comportement agressif. Cette relation complexe entre la colère et l’agressivité a été regroupée sous le terme de « syndrome de colère-hostilité-agression » (Spielberger et al., 1983). Promis, je vous en parlerai un jour du « Syndrome Aha! ».
Chacun de nous gère sa colère à ça façon. Cependant, des facteurs culturels peuvent nous amener les gens à réprimer notre colère par peur des conséquences sociales. Cette répression interne peut avoir des effets néfastes sur la santé, contribuant à des problèmes tels que l’hypertension et les maladies cardiovasculaires (Bitti et coll., 1995 ; Edmond et coll., 2014 ; Smith et Furlong, 1998 ; Spielberger, 1991).
Les Arts Martiaux : Entre Agressivité et Discipline
Ce qui distingue les arts martiaux et les sports de combat (AM&SC) des autres sports est l’objet de la compétition. Dans les arts martiaux c’est le contrôle du corps de l’adversaire, alors que dans les autres sports, c’est un objet tiers, comme la vitesse, le contrôle du ballon ou encore la puissance. Cette caractéristique fondamentale des AM&SC est justement ce qui a mené à un intérêt croissant des laboratoires de recherche en psychologie du sport sur ce lien entre AM&SC et colère, car si avoir les moyens de détruire méthodiquement son adversaire augmentait l’agressivité, il faudrait probablement mettre quelques garde fous en place.
Les arts martiaux se différencient des sports de combat par des éléments philosophiques et éthiques, favorisant des valeurs telles que la civilité, la modestie, le courage et le respect (Martinkova et al., 2019). De nombreux arts martiaux mettent également l’accent sur l’intégration de l’esprit et du corps, favorisant la méditation et des vertus telles que la paix, bienveillance et la résolution non violente des conflits (Nosanchuk et MacNeil, 1989).
Cependant, il existe une perception ambiguë des arts martiaux, certains les associant à l’agressivité et à la violence. L’image projetée dans les médias, les courtes vidéos de combats de MMA encensant un combattant « détruisant » son adversaire, et l’utilisation de ces pratiques par certains groupes extrémistes contribuent fort probablement à cette vision négative.
La Recherche sur les Arts Martiaux et la Colère
La relation entre les arts martiaux et la gestion de la colère a fait l’objet de nombreuses études. Certains résultats suggèrent que la pratique des arts martiaux peut réduire les tendances agressives chez les individus, tandis que d’autres études ont obtenu des résultats mitigés (Gubbels et al., 2016 ; Harwood et al., 2017).
Pour en avoir le cœur net, j’ai décidé de me concentrer sur les revues de la littérature, qui analyse différentes études selon des critères bien spécifiques.
Dans une première revue, Cox (1993) a suggéré que la pratique des arts martiaux pourrait avoir un effet positif sur la façon dont les personnes gèrent leur agressivité. Cependant, il a noté que les preuves disponibles à l’époque étaient encore préliminaires. La principale question qui se posait alors était de savoir si la pratique des arts martiaux pouvait avoir cet effet bénéfique sur la personne « moyenne » ou si cela pouvait être attribué à un biais lié à choix personnel. À cette époque, les études transversales en cours n’étaient pas en mesure de répondre définitivement à cette question, car elles ne permettaient pas d’établir clairement une relation de cause à effet.
En ce qui concerne les interventions cliniques, il convient de noter que seules quelques études à court terme impliquant un petit nombre de participants avaient été menées, mais elles semblaient généralement indiquer des résultats positifs. Des années plus tard, Vertonghen et Theeboom (2010) ont effectué une revue quasi systématique pour explorer les effets sociaux et psychologiques de la pratique des arts martiaux chez les jeunes. Parmi les 27 études qu’ils ont examinées, jusqu’à 16 d’entre se penchaient spécifiquement sur des aspects tels que l’hostilité, l’agressivité et le comportement violent.
Les résultats de ces études étaient variés, la plupart indiquant des effets positifs, bien que certaines n’aient observé aucun effet ou aient même constaté des effets négatifs. Les chercheurs ont souligné que plusieurs facteurs, tels que le type d’orientation des arts martiaux, les caractéristiques structurelles de la pratique, les profils des participants et le contexte social, n’avaient que rarement été pris en compte. Ils ont suggéré que ces éléments pourraient jouer un rôle essentiel dans la compréhension des effets de la formation en arts martiaux et sports de combat.
La dernière revue en date, celle de Lafuente et al. (2021) conclut ceci : « Les données disponibles montrent que la relation entre la pratique des AM&SC et les niveaux de colère et d’agression n’est pas claire. Cependant, l’entraînement aux arts martiaux traditionnels, qui touche à la méditation, à la philosophie ou au kata, semble être un moyen efficace de réduire les niveaux de colère et d’agression. En ce qui concerne l’âge des sujets, il existe une prédisposition à réduire la colère dans la population adulte. De plus, les jeunes sujets présentant des problèmes de violence ou de comportement réagissent positivement au travail avec les arts martiaux. Dans tous les cas, ces résultats doivent être considérés avec beaucoup de prudence, car le volume des études et la qualité méthodologique de la plupart d’entre elles ne sont pas optimaux. »
Conclusion
En résumé, lorsque la pratique est jointe à des enseignements de savoir-être, de respect, de dépassement de soi, elle présente un intérêt certain pour aider les jeunes et les moins jeunes à mieux gérer leur colère et leur agressivité.
Et le sac de frappe dans tout ça ? Hé bien, j’aurais tendance, depuis cette conversation et mes recherches sur le sujet, à amener plus de nuances : si vous débutez, ce n’est pas une bonne idée d’utiliser le sac de frappe en dehors de tout autre contexte sportif, uniquement pour décharger votre colère. Si vous avez une pratique d’un AM&SC et que dans celle-ci vous vous entrainiez avec un sac de frappe, alors pourquoi pas, si votre intention est de pratiquer votre art.
Finalement, rien de mieux qu’un bon vieux groupe de gestion de la colère, non ?
La bise et bonne année 😊
Références :
Bitti, P. E. R., Gremigni, P., Bertolotti, G., & Zotti, A. M. (1995). Dimensions of anger and hostility in cardiac patients, hypertensive patients, and controls. Psychotherapy and Psychosomatics, 64(3–4), 162–172.
Cox, J. C. (1993). Traditional Asian martial arts training: A review. Quest, 45(3), 366–388.
Edmond, M. B., Granberg, E., Simons, R., & Lei, M. K. (2014). Distressing relationships, anger, and stress amplification in a sample of young adult African Americans. Journal of Adult Development, 21(1), 13–29.
Gonzalez-Gross, M., & Canada, D. (2015). Actividad física: Un pilar indispensable de un estilo de vida saludable. Mediterraneo Economico, 27, 199–221.
Gubbels, J., van der Stouwe, T., Spruit, A., & Stams, G. J. J. (2016). Martial arts participation and externalizing behavior in juveniles: A meta-analytic review. Aggression and Violent Behavior, 28, 73–81.
Harwood, A., Lavidor, M., & Rassovsky, Y. (2017). Reducing aggression with martial arts: A meta-analysis of child and youth studies. Aggression and Violent Behavior, 34, 96–101.
Lafuente, J. C., Zubiaur, M., & Gutiérrez-García, C. (2021). Effects of martial arts and combat sports training on anger and aggression: A systematic review. Aggression and Violent Behavior, 58, 101611.
Martinkova, I., Parry, J., & Varner, M. (2019). The contribution of martial arts to moral development. Ido Movement for Culture. Journal of Martial Arts Anthropology, 19(1), 1–8.
Maxwell, J. (2004). Anger rumination: An antecedent of athlete aggression? Psychology of Sport and Exercise, 5(3), 279–289.
Nosanchuk, T. A., & MacNeil, M. C. (1989). Examination of the effects of traditional and modern martial arts training on aggressiveness. Aggressive Behavior, 15(2), 153–159.
Passero, N. (2015). Effects of Participation in Sports on Men’s Aggressive and Violent Behaviors. Opus. VII pp. 23–27.
Smith, D. C., & Furlong, M. J. (1998). Introduction to the Special Issue: Addressing youth anger and aggression in school settings. Psychology in the Schools, 35(3), 201–203.
Spielberger, C. (1991). State-trait anger expression inventory: Revised research edition. Odessa, FL: Psychological Assessment Resources.
Spielberger, C. D., Jacobs, G., Russell, S., & Crane, R. S. (1983). Assessment of anger: The state-trait anger scale. In J. N. Butcher, & C. D. Spielberger (Eds.), 2. Advances in Personality Assessment (pp. 59–187). Hillsdale, NJ: Lawrence Erlbaum.
Steinfeldt, M., & Steinfeldt, J. A. (2012). Athletic identity and conformity to masculine norms among college football players. Journal of Applied Sport Psychology, 24(2), 115–128.
van der Kooi, M. (2020). Developmental outcomes and meanings in martial arts practice among youth: a review. European Journal for Sport and Society, 17(2), 96–115.
Vertonghen, J., & Theeboom, M. (2010). The social-psychological outcomes of martial arts practise among youth: A review. Journal of Sports Science & Medicine, 9(4), 528.
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