Introduction au travail des chaises (chairworking) en thérapie

 

Le travail des chaises est répandu dans de nombreux champs thérapeutiques. Certaines approches en font même le centre de leur proposition thérapeutique. Il mérite d’être connu d’un plus large public tant sa capacité à transformer les relations symboliques et les fonctions associées à celles-ci est efficace.

Selon Kellogg (2004), il existe différentes possibilités d’utiliser une chaise en thérapie … autre que s’asseoir dessus.

L’idée de ce travail est de donner la parole à des parties de soi, comme nos émotions, nos ressentis, un discours sur soi jugeant, critique, disqualifiant ou encore de jouer ou de rejouer des scènes du passé, du présent ou du futur ou encore de rentrer en contact avec des personnes qui ont marqué notre existence, en bien ou en mal, et dont le souvenir, les gestes, les mots nous hantent encore aujourd’hui en réduisant notre répertoire comportemental à quelques réactions rigides et décontextualisées génératrices de souffrances inutiles pour le patient.

Nous ne parlerons pas du travail sur les schémas, issus de la schéma-thérapie de Young. Cependant, le lecteur curieux pourra avantageusement consulter Young et al. (2003).

Le travail sur les dimensions intérieures :

Connu sous le nom des deux chaises, que nous développons dans un autre article, cette mise en situation cherche à relier directement le patient avec une partie de lui qui intervient dans sa vie et dont la relation actuelle avec celle-ci ne l’aide pas à avancer.

Classiquement, on met en relation deux protagonistes uniquement à la fois, le Soi expérientiel, c’est à dire la perspective du patient, et l’Autre expérientiel, à savoir la partie intérieure du patient avec laquelle il rencontre des difficultés. Si un nouveau protagoniste se présente, il prend la place de l’Autre expérientiel. Le patient reste toujours lui-même.

Certains praticiens, comme Young par exemple, proposent de disposer plusieurs chaises en fonction de différentes partie de Soi jouant, ou pouvant jouer, un rôle dans les difficultés de la personne. C’est possible et potentiellement efficace avec trois protagonistes : deux parties de Soi en conflit et une partie observatrice, non jugeante, sage et compatissante. Il peut y avoir « beaucoup de monde » à l’intérieur du patient et commencer à aller chercher des chaises dans la salle d’attente peut interrompre le processus émotionnel. Beaucoup de voix « contre » le patient peuvent se manifester, ce qui ne facilitera pas la distance de celui-ci avec ses voix intérieures. De plus, lorsqu’on est activé émotionnellement, il devient difficile de retrouver quelle chaise est à qui, et cela, parfois, avec seulement deux chaises. Afin de fluidifier et de simplifier le procédé au maximum, nous recommandons de n’utiliser, au début de votre pratique de cet outil, que deux chaises et de ne confronter le patient qu’à une « voix » à la fois.

Le travail sur les dimensions extérieures :

Les dialogues externes peuvent aider les patients à travailler sur la perte et le deuil, les abus et traumas, les relations difficiles que nous avons eu ou que nous avons actuellement. Il permet de développer et de renforcer un discours assertif envers les personnes qui nous ont blessés et de clore certains chapitres de notre vie.

Ce travail sur des dimensions extérieures connu sous le nom de la chaise vide (empty chair) ou encore de l’affaire non résolue (Unfinished Business). L’efficacité de cette procédure a été validée par Paivio et Greenberg en 1995 sur 34 patients.

Selon Greenberg et Forester (1996), quatre composants favoriseraient l’efficacité de cet outil : une intense expression d’émotions, l’expression de besoins, un changement dans la représentation que l’Autre a du Soi expérientiel, une auto-validation du Soi expérientiel ou la compréhension de l’Autre.

En soulignant que la représentation que nous avons de nous à travers les yeux de l’Autre doit changer, Greenberg et Forester nous permettent de sortir des cardes habituels en ACT du Soi et Autre comme contenus. Ils mettent en évidence que certaines difficultés peuvent découler de nos représentations de ce que l’Autre pense de nous. Une sorte d’Autre-comme-contenu dans l’Autre-comme-contenu. Ici, la Théorie des Cadres relationnels permet une explication simple : il s’agit d’un cadre de coordination à transformer.

Les réseaux de relations composants les représentations que vous avons de nous-même sont interalliés et forment un ensemble cohérent dont l’expérience globale est le Soi.

Lorsque cet ensemble de réseaux de relations comporte des descriptions, des jugements à propos de Soi qui réduisent la variabilité comportementale du patient à un ensemble restreint de réponses non fonctionnelles, le travail des chaises permet de réorganiser les différents réseaux intriqués en un ensemble plus fonctionnel composés de relations de distinction (Soi est différent de l’Autre) et hiérarchiques (l’Autre est une partie d’un Soi -comme contexte- plus large).

En faisant cela, les relations symboliques qui impliquaient une réduction du répertoire du patient, évoquent à présent d’autres comportements, ne faisant pas partie des options du patient avant cette réorganisation de ses réseaux de relations.

Travail métaphorique

Le travail métaphorique est inspiré des polarités de Perls qui sont deux pôles d’un même continuum qu’il s’agit d’intégrer afin d’étendre la flexibilité du Soi. D’autres métaphores peuvent être travailler, comme les parties de soi cachées, traumatisées, violentées. En retrouvant un accès à cette énergie cachée ou oubliée le patient ne réduit pas seulement ses conflits intérieurs mais il a aussi plus de ressources pour affronter la vie.

Le matériel peut autant venir de partie du corps (la main gauche versus la main droite) que des conflits polarisés exprimés verbalement (je veux versus je ne veux pas), entre soi et une représentation d’une autre personne (étranger, parent, enfant…). Dans la perspective de Perls, tous les phénomènes perturbateurs peuvent révéler d’importantes polarités et offrent l’opportunité d’intégrer les conflits et de gagner en ressources.

Zinker (1977) pousse le processus encore plus loin en proposant au patient de cultiver une attitude amicale envers toutes les forces polarisées en présence en lui.

Le travail des rêves est lui aussi inspiré de Perls. Sur la fin de sa carrière, Perls était particulièrement intéressé par l’utilisation des rêves comme levier thérapeutique. Il pensait que chaque image, chaque personne, chaque objet, chaque animal et chaque force en présence fait écho à une partie de l’histoire du patient, à une partie de sa personnalité. Son objectif, dans le travail des rêves, était de permettre au patient d’incarner chaque partie, chaque image et, si le patient arrive à s’immerger pleinement dans cette partie, de puiser dans l’énergie qu’elle transporte. Ici aussi, il propose de travailler avec les polarités en mettant en relation les deux pôles opposés. Selon lui, tout l’art du travail thérapeutique revient à trouver le pôle adéquat. Lorsque c’est le cas, la guerre civile commence. Les bombes pleuvent. Puis, petit à petit, le traité de paix devient une possibilité. Finalement, les deux ennemis se rejoignent et deviennent des alliés face aux épreuves du monde.

La première étape dans le travail des rêves est de demander au patient de revivre le rêve, à la première personne, en racontant lentement ce qui se passe au présent. Cette méthode aide à repérer plus facilement les images émotionnellement chargées. Lorsqu’une image significative est repérée, Perls invite le patient à devenir celle-ci, à entrer dedans et à lui donner une voix.

Les cauchemars sont, pour Perls, des images particulièrement fortes reliées à des aspects du Soi particulièrement énergiques. Plus les images sont perturbantes, plus l’énergie qu’elle renferme est puissante.

Moreno propose de créer une nouvelle fin au cauchemar. Il propose d’écrire le cauchemar et de changer la fin d’une façon qui ait du sens. Ce travail se rapproche fortement de la thérapie par réécriture en imagerie.

A titre essentiellement illustratif, voici une liste non exhaustive et arbitraire de polarités que nous pouvons rencontrer, tant chez nos patients que chez nous-même et adaptée du livre de Kellogg (2014) :

Peur Désire
Doux Dure
Confiance Suspicion
Laid Beau
Sexuel Asexué
Soumis Dominant
Indépendant Dépendant
Groupe Individu
Calme Actif
Pragmatique Idéaliste
Littéraire Scientifique
Coeur Esprit
Fermé Ouvert
Econome Dépensier
Extraverti Introverti
Mature Immature
Sauvage Civilisé
Vieux Jeune
Doute Certitude
Valeur Besoin
Brouillon Organisé

Assertivité

L’assertivité est un ensemble de réponses aux situations interpersonnelles impliquant la formulation d’une demande, d’un refus, d’une critique ou d’une réponse à celles-ci. Plusieurs facteurs historiques peuvent intervenir dans les difficultés des patients à ce niveau. La plupart du temps, on peut repérer une règle verbale issue d’un pic d’adaptation.

La façon de travailler l’assertivité avec les chaises est de disposer la personne qui est impliquée dans une difficulté d’assertivité du patient sur la chaise en face de lui. Le thérapeute peut proposer des interventions affirmatives, jouer l’autre personne ou guider le patient de façon moins directives.

Il arrive régulièrement que le patient s’interrompt ou que les règles non fonctionnelles émergent. Avec l’accord du patient, le praticien peut réorienter la séance sur celles-ci, en externalisant la règle par exemple. L’idée est encore et toujours d’éveiller la conscience de la règle et d’élargir le répertoire comportemental du patient en présence de celle-ci.

Placement des chaises

Traditionnellement, la mise en place est simple, le thérapeute est toujours du coté du patient. En face de la chaise du patient on dispose une chaise vide. Si plusieurs intervenants sont mobilisés, les chaises sont mises en biais en face ou autour du patient. La chaise du thérapeute, toujours du coté du patient, peut accompagner les différents échanges.

Dans la mesure où certaines relations peuvent être particulièrement difficiles à jouer pour le patient, le praticien peut lui demander à quelle distance disposer la chaise vide de façon à ce que la confrontation soit confortable pour le patient. Certains patients peuvent également, dans un premier temps, ne pas être à l’aise avec le face à face. Il est tout à fait possible de proposer d’orienter le dos de la chaise vide face au le patient ou encore de proposer au patient de retourner sa chaise. A mesure que le travail s’effectue, la distance et l’orientation de la chaise peuvent se modifier.

Dans certaines situations, comme par exemple (mais pas uniquement) en thérapie de couple ou familiale, disposer la chaise du praticien dans une position neutre, au milieu, est une bonne idée.

Perte de contact et interruption émotionnelle :

Il arrive parfois que le patient s’interrompe dans l’expression d’une émotion, qu’il manifeste qu’il « n’est plus dans l’exercice ». Il est possible que ce soit un évitement (fonctionnel ou non), en particulier si on était au coeur d’une émotion ou encore que le patient évoquait un thème significatif pour lui.

Avant tout, posez la question suivante au patient :

« J’ai l’impression qu’une partie de vous vous empêche de pouvoir exprimer ce qui est important pour vous dans ce contexte »

« Vous sentez-vous bloqué, comme empêché d’accéder à ces émotions ? »

Dans l’affirmative, proposez au patient de montrer/mimer, en se levant de la chaise si nécessaire, comment il se bloque ou s’empêche d’accéder à ces émotions, comme si c’était une personne qui l’empêchait d’aller dans une direction, de se lever ou encore de parler ou d’être confronté à certaines réalités.

Il arrive que les patients ne comprennent pas cette consigne, vous pouvez leur montrer en vous levant de la chaise, et en montrant ce que vous attendez de lui. Par exemple :

« imaginons que je me sente bloqué comme si quelqu’un me barrait le passage » levez-vous et mettez-vous devant votre chaise, les bras ouverts comme si vous ne voulez pas qu’une personne assise sur cette chaise se lève.

« imaginons que je me sente bloqué, comme si quelqu’un m’empêchait de parler » posez-vous une main sur la bouche comme si vous voulez vous empêcher de parler. Vous pouvez aussi mimer une personne qui empêche une autre de parler en vous levant et en posant deux mains en direction de la zone où se situait votre visage lorsque vous étiez assis sur la chaise.

Invitez le patient à jouer cette partie bloquante.

Après ce mime, laissez le patient debout, dans la posture du bloquant.

Explorez avec lui la fonction de faire cela, en quoi est-ce utile, en quoi cela lui rend, d’une quelconque façon que ce soit, un service utile.

Proposez au client de s’asseoir sur l’autre chaise et d’incarner cette partie bloquante. Donnez-lui la parole et engagez le patient dans une routine des deux chaises avec la partie bloquante. L’intention de cet exercice est de permettre au client d’avoir accès aux émotions évitées.

Lorsque vous y arrivez, si le temps de consultation le permet et si le client est d’accord, vous pouvez reprendre l’exercice des deux chaises.

L’impasse

Il arrive parfois que le patient se retrouve dans une impasse, comme piégé par des forces trop en déséquilibre. En s’inspirant du travail de l’interruption émotionnelle et des travaux de Perls sur les polarités, nous pourrions proposer de donner une voix à cette impasse et d’installer une chaise pour celle-ci. Dans un premier temps, proposez au patient de rester simplement sur la chaise et d’expérimenter l’impasse amplement, avec tout son corps comme on le ferait dans le focusing.

Vous pouvez aussi proposer au patient de simplement rester dans cette impasse, silencieusement, en restant assis et à l’écoute de celle-ci.

Thèmes de conflit

Inspiré de Goldman et al. (2005) et de notre expérience, voici une liste non exhaustive des thèmes de conflits régulièrement rencontrés pouvant être explorés à l’aide de la technique des chaises :

    • Emotions non résolues en relation à un compagnon
    • Etre pris au piège dans une relation toxique
    • Conflit entre une dimension critique et vulnérable de Soi
    • Conflit entre un soi orienté action, jugeant et un Soi passionné
    • Conflit entre un soi concret et libre, et un soi cherchant le plaisir et dépendant
    • Se sentir jugé et critiqué par les autres
    • Sentiment de « vide » ou absence de sentiment
    • Difficulté d’affirmation de soi et sentiment d’illégitimité dans ses aspirations et besoins
    • Emotions non-résolues envers un ex-compagnon et sa famille
    • Fort sentiment d’échec et sentiment d’inadéquation
    • Sens de soi fragile et vulnérable
    • Emotions non résolues envers un parent
    • Relation difficile avec un enfant
    • Difficultés à faire confiance aux autres dans les relations
    • Haute exigence de perfection
    • Sentiment de perte et tristesse envers un enfant quittant la maison
    • Sentiment de solitude et de peur en relation à l’avenir

Selon Goldman et al. (2005), la plupart des patients auraient au moins 3 thèmes dont au moins un thème interpersonnel et un thème intrapersonnel.

Les valeurs

Lorsque des valeurs importantes sont évoquées, explorez celles-ci et soulignez leur apparition dans le discours de la personne. Ce travail d’exploration est particulièrement intéressant à réaliser lorsque des polarités sont présentes. Dans la perspective du continuum de Perls, les pôles en conflit ne sont que des manifestations différentes d’une même chose, qui peut soit porter en elle des valeurs à premières vue concurrentielles, soit porter une même valeur.

Quels buts peut poursuivre le travail des chaises ?

On s’attend souvent à voir des changements importants quand on travail avec les chaises, cependant ce n’est qu’un coté de l’utilité de ce modèle, son côté transformationnel. On peut aussi utiliser les chaises pour un travail plus développemental, en permettant à la personne d’approfondir sa connaissance de soi et de son fonctionnement.

La facilitation et le changement

Au niveau thérapeutique, le travail des chaises a deux modes d’action : (1) faciliter l’expression et (2) modifier l’expérience. Lorsqu’on est dans une démarche de facilitation, on donnera des voix à chaque partie concernée, que ce soit les pôles opposés que les émotions, les sensations, les jugements ou les actions. Dans cette perspective de facilitation, le thérapeute n’a pas d’agenda particulier si ce n’est de soutenir l’entière expression de chacune des parties. La façon dont cela peut mener à un changement est soutenue par deux processus. D’une part par le paradoxe du changement (Beisser, 1970) qui se résume par une citation très connues de Rogers : « le curieux paradoxe est que je ne peux changer que quand je m’accepte juste comme je suis ».  D’autre part, par le travail d’intégration des polarités, qui permet l’émergence d’un nouveau mode de fonctionnement.

L’autre mode d’action est le changement de l’expérience. Ici, le thérapeute est plus directif et a un agenda précis en tête. Il peut chercher par exemple à favoriser un deuil, à changer un positionnement de victime par rapport à un agresseur interne ou externe.

L’un n’est pas meilleur que l’autre, et en fonction des besoins du patient, le thérapeute peut voyager de l’un à l’autre.

Dans ces deux modes d’action le thérapeute peut endosser cinq grands rôles :

Le rôle de témoin : le patient peut revisiter son passé, ses traumatismes, mais il n’est pas seul, il est accompagné par le thérapeute. Une présence soignante peut faire toute la différence et le patient peut enfin partager l’indicible avec un autre être humain.

Le rôle d’accoucheur : rôle maïeutique par excellence, le thérapeute participe à la naissance d’une guérison. Il n’est là que pour assister le processus à se réaliser. Il n’intervient que lorsque le processus parait bloqué.

Le rôle de catalyseur qui implique un rôle plus actif dans une perspective de modification par une forte qualité de présence.

Le thérapeute peut aussi endosser le rôle de Metteur en Scène en ré-écrivant parfois quelques lignes du script où le patient, la star du film, sortira victorieux.

L’avocat peut aider aussi certains patients particulièrement bloqués par un critique intérieur inébranlable. Ici, le thérapeute prendra le défense du patient, parlera même parfois à sa place, tel un paladin de la compassion défendant l’orphelin.

Techniques d’approfondissement expérientiel

Décrire et visualiser la personne assise en face

Vous pouvez demander au patient de prendre un temps, les yeux fermés, pour imaginer la personne, en décrivent les traits de son visage, sa posture, ses vêtements, ses yeux, son expression faciale, voir même de mimer son expression faciale. Demandez au patient de vous donner un maximum de détails sur la personne en face. Plus détaillé ce sera, plus facile sera l’évocation émotionnelle.

Demander de répéter

Lorsque le patient évoque une relation qui est significative, le praticien demande au patient de répéter celle-ci.

Patient : Tu m’as fait souffrir

Thérapeute : répétez ce que vous venez de dire

Patient : Tu m’as fait souffrir

Kellogg propose également de demander de répéter à trois reprises et lors de la dernière répétition, d’ajouter un élément supplémentaire.

Patient : Tu m’as fait souffrir

Thérapeute : répétez ce que vous venez de dire

Patient : Tu m’as fait souffrir

Thérapeute : répétez à nouveau

Patient : Tu m’as fait souffrir

Thérapeute : répétez encore en ajoutant quelque chose

Patient : Tu m’as fait souffrir et je te déteste pour ça !

Changer le ton de la voix

On peut demander d’augmenter ou de diminuer le volume de la voix du patient, en fonction de ce que le thérapeute souhaite évoquer chez le patient.

Il arrive régulièrement dans le travail des chaises que les patients disent pour la première fois une affirmation, brise une règle, ou change de posture face à une personne. Souvent cette première fois est faite à bas bruit, dans un souffle, comme si le patient n’osait pas le dire ou avait peur des conséquences de son affirmation.

Dans d’autres situations on peut demander au patient de ralentir et de diminuer la tonalité de sa voix pour rendre plus important ce qui a été dit.

Un outil intéressant pour vous guider est de travailler avec les dimensions des qualités vocales du patient en modifiant celles-ci en fonction de ce que vous souhaitez évoquer : La puissance de la voix, l’orientation de la voix (intérieur ou extérieur), la profondeur de la voix, le rythme de la voix, les pauses et les silences.

Suggérer une phrase

Suggérer une phrase au patient n’est pas juste pour aider le patient à relancer le dialogue mais peut également avoir comme conséquence que le patient perçoive que vous le comprenez. Il est important de s’assurer que votre suggestion s’accorde avec le ressenti du patient en ponctuant votre phrase d’un « si cela vous parait cohérent » ou encore « si cela vous parait confortable ». Il est important de suggérer une phrase que vous sentez que le patient tente de dire et non que vous souhaiteriez qu’il dise. Si la suggestion est cohérente avec ce que le patient est en train de vivre, cette intervention lui permettra d’avoir un soutien supplémentaire pour avancer, en particulier s’il se sent bloqué ou empêché. Il est important d’utiliser cette stratégie avec intelligence et sensibilité.

Patient : (parlant à soi enfant) je te vois assis devant moi, tes petites mains sur les genoux dans ton joli pantalon.

Thérapeute : essayez ceci si vous pensez que c’est cohérent. Je te vois assis, mon brave petit gars, tout sage et si mignon. Quel magnifique petit garçon. Je suis tellement ému de te voir. Puis je vois aussi par quoi tu es passé, toutes ces difficultés que tu as déjà rencontré à ton âge. Je suis si heureux de pouvoir partager ce moment avec toi et si triste de percevoir ta détresse.

Simplifier

Plus le patient utilise des phrases claires et simples, plus le processus expérientiel est facilité. Lorsque le patient s’engage dans une longue tirade, faisant appel à la cognition plus qu’aux ressentis, ou encore utilise des formes et des précautions (comme la CNV), proposez un phrase résumée qui évoque clairement et simplement le ressenti, toujours en demandant au patient de l’essayer pour évaluer si cela s’ajuste à son ressenti.

Renforcer

Après certaines techniques d’approfondissement expérientiel il est bien de renforcer le patient par un « bien », « super », « on y est ». Il est même possible de joindre cela aux différentes techniques comme la répétition par exemple (« bien. Répétez encore »).

Parler à l’autre partie en tant que thérapeute

Il est parfois utile d’intervenir en tant que thérapeute et de s’adresser à la partie malveillante ou à la figure abusive directement. Il ne s’agit pas de parler à la place du patient mais bien depuis son point de vue de thérapeute, à la première personne. Le thérapeute ne parle que s’il a l’autorisation du patient pour intervenir.

Ici vous avez deux options. Soit vous prenez le parti du patient, et vous aborder l’Autre comme le thérapeute du patient. Soit vous aborder l’Autre avec le même non-jugement et la même curiosité que pour un patient en essayant de rejoindre l’Autre dans sa perspective pour développer celle-ci en évitant les résistances et les bras de fer. La deuxième approche permet de désamorcer la méfiance et la colère de l’Autre, ce qui peut faciliter le troisième processus de changement de perspective que l’Autre a de Soi.

Garder les voix sur leur chaise

Lorsque le dialogue touche des zones sensibles, il devient parfois difficile pour le patient de rester dans le dialogue. Il peut alors soit en faire intervenir une autre partie de Soi, soit s’adresser directement au thérapeute.

Nous conseillions, dans ces circonstances, de prévenir le patient qu’une autre voix semble vouloir interrompre le dialogue (en particulier quand une partie peureuse se manifeste), dans un premier temps. Suggérez au patient de reprendre son rôle initial et rassurez-le sur le fait que vous allez explorer ensemble cette voix qui veut se faire entendre un peu plus tard. Si cela ne marche pas, proposez au patient de changer de chaise et d’incarner cette partie de Soi qui fait pression sur le dialogue en lui permettant de s’exprimer.

Il est important de ne pas accepter de changer de voix ou de rôle tout en restant sur la même chaise. La séparation des voix, des rôles et des chaises est fondamentale dans le travail des chaises. L’essence du travail des chaises est de favoriser la prise de perspective en différenciant nettement les parties de soi dont l’habituel flou des frontières a tendance à renforcer l’inopérance de la personne face à ses propres discours intérieurs.

Demander au patient ce qu’il ressent quand il parle

Demandez au patient ce qu’il ressent quand il parle afin de s’assure de la cohérence entre ce qu’il dit et ce qu’il ressent. Si vous observez une incohérence, demandez au patient ce qu’il ressent et proposez-lui de répéter ce qu’il vient de dire en exprimant ce qu’il ressent dans sa voix.

Terminer le monologue

Une façon de clôturer un long monologue (qui pourrait être une forme d’évitement) est de demander au patient par quoi il souhaiterait terminer et de le faire changer de chaise.

Langage affirmatif

Pour favoriser l’expression de soi, le praticien peut encourager le patient à utiliser des mots affirmatifs comme « je veux », « je choisi », « je décide » plutôt que des mots comme « je voudrais », « se serait bien si » …

Posture

La posture assise est intéressante car elle permet l’ouverture et l’approfondissement de l’intimité. Cependant, si on souhaite travailler une posture plus affirmative, on peut proposer au patient de se lever et de répéter ce qu’il vient de dire debout.

Variantes

Prise de décision

Ce type de dialogue implique souvent un conflit entre une ou plusieurs valeurs. Il peut être utile, ici de réaliser une balance décisionnelle avec le patient avant de s’engager dans le travail des chaises en donnant une voix à chacune des perspectives. Un moyen intéressant d’explorer les décisions est d’inclure dans le travail le facteur temps en explorant les conséquences dans le futur de chaque décision.

La complexité intérieure

L’idée est ici de créer une nouvelle voix, positive, sans que l’objectif soit de réduire au silence la voix négative ou de lui faire changer son point de vue. Au début, le thérapeute doit parfois être très actif pour aider le patient à incarner cette nouvelle voix et l’aider à trouver des arguments. Il est particulièrement utilisé quand le patient est face à un critique intérieur très puissant. Il n’est pas inutile de faire un point avec le patient de tout ce qu’il a déjà réussi, ce qu’il a pu mener à bien, de ses qualités et forces, de son désir de faire un sorte que l’avenir soit différent du passé.

Externalisation

Dans certaines circonstances, en particulier quand le patient éprouve de la difficulté à rentrer dans le travail des chaises et qu’il revient régulièrement vers vous pour parler à Soi ou à l’Autre par votre intermédiaire, vous pouvez faire glisser l’exercice vers un exercice d’externalisation en faisant l’interview de l’Autre. Il est toujours possible de revenir après à un exercice des chaises si cela s’avère pertinent.

Double externalisation

La double externalisation revient à faire l’exercice des chaises, mais en interviewant chaque partie dans une perspective Soi et Autre. Il est important de préciser les qualités de Soi et de l’Autre afin de parler de son binôme à la troisième personne. L’interview peut se faire sur deux séances séparées. Il est toujours intéressant d’enregistrer les séances et de les visionner après avec le patient.

Dialogue à trois voix

Il est aussi possible, si cela s’avère pertinent, de proposer un dialogue à trois voix en ajoutant une chaise supplémentaire. Les polarités ici sont multiples :

Mère Enfant Père
Enfant Adulte Parent
Artiste Spirituel Scientifique
Peur Amour Courage
Corps Sentiments Esprit
Passé Présent Futur
Tradition Progrès Changement
Inertie Action Effort
Guerrier Amant Créateur
Conseiller Observateur Explorateur

Il est possible de multiplier à l’infini le nombre d’intervenants, cependant, notre expérience montre qu’un trop grand nombre de chaises favorise un désengagement affectif du patient au cours du travail.

Travail de la chaise en groupe

Un groupe permet d’atteindre un niveau plus élevé d’intensité émotionnelle (Perls, 1992). Cependant, le groupe permet aussi d’atteindre des objectifs plus large qu’en thérapie individuelle. Les membres du groupe servent de témoins de ce qui est partagé et joué par le patient sur la chaise. Cela permet d’intégrer l’expérience vécue par le patient dans un groupe, une communauté, aussi restreinte soit-elle, et de ce fait de favoriser la généralisation des nouvelles perspectives dans la vie du patient. Les membres du groupe peuvent être intégrés au processus, afin d’approfondir l’expérience émotionnelle. Cela favorise une lecture plus claire et un travail plus élaboré de l’expérience émotionnelle. Le groupe peut être invité à exprimer ces propres identifications avec ce qui se joue en permettant de toucher à l’universalité de l’expérience et pas seulement de normaliser le vécu du patient.

Assis-debout

Une dernière variante, permettant d’ouvrir plus largement encore le travail avec la chaise, est de ne pas rester assis sur la chaise. Pourquoi pas se lever sur la chaise et de déclarer, sur un ton vif et affirmer, ce que l’on pense de cet autre Soi qui nous mets des bâtons dans les roues ou encore de reprendre le discours du Soi critique et de l’affirmer haut et fort. Ou encore, inspiré par Perls, d’incarner sur la chaise la polarité inverse de ce qui nous fait souffrir.

Petites astuces

Voici quelques petites « astuces » de Gestalt thérapie au niveau du langage pour aider à se reconnecter aux expériences concrètes du vécu du patient.

Demander au patient de reformuler sa question en une affirmation.

Concrétiser les « on », les « ça », les « eux », les « les gens » : demandez au patient de concrétiser ce qu’il entend pas les pronoms impersonnels qu’il utilise.

Inverser les phrases : lorsque le patient émet un jugement à propos d’autrui, on lui demander d’inverser les rôles : « Ils ne m’aiment pas » en « je ne les aime pas » ; « j’ai l’impression que les autres se méfient de moi » en « je me méfie des autres ».

Quels sont les processus soutenus par ces pratiques ?

Dans le travail des chaises, les processus sont multiples. Le travail avec les chaises remplis l’ensemble des processus thérapeutiques, ACT ou autres, dans la mesure où on pourrait en faire une thérapie en soi, comme Kellogg (2014) le propose. Si nous devions pointer certains processus plus que d’autres, nous dirions que le travail des chaises utilise beaucoup les différents cadres déictiques pour créer des changements de perspectives. En termes de processus ACT, il travaille à l’aide des Soi et Autre comme contenu et utilise la fusion à ceux-ci au bénéfice de l’acceptation et d’une plus grande flexibilité au niveau des contenus que nous avons à propos de nous et des autres impliqués dans nos difficultés. Cette façon de procéder, dans une thérapie ACT en tout cas, n’est pas canonique dans la mesure où habituellement on favorise l’acceptation et la défusion du contenu pour déboucher à un changement de fonction de celui-ci.

Est-ce alors compatible avec l’ACT ?

 Cela dépend de ce que vous entendez par « ACT ». Si pour vous c’est un ensemble de techniques précis avec une façon précise de ramener de la flexibilité dans le comportement du patient, alors non. Si, comme moi, vous considérez que c’est ramener de la flexibilité dans le comportement du patient qui est important, alors vous pouvez aller à contre-courant des prescriptions habituelles des manuels et autres guides cliniques pour vous centrer sur l’objectif principal de votre intervention thérapeutique : la flexibilité.

Références :

Carstenson B (1955). The auxiliary chair technique – a case study. Group Psychotherapy, 8, 50-56.

Greenberg LS (2002). Emotion-focused therapy: Coaching clients to work through their feelings. Washington, DC: American Psychological Association.

Greenberg LS, Rice LN, Elliot R (1993). Facilitating Emotional Change: The Moment by Moment Process. NY: Guilford Press

Kellogg, S. H. (2004). Dialogical encounters: Contemporary perspectives on “chairwork” in psychotherapy. Psychotherapy, 41, 310-320.

Perls FS (1969). Gestalt Therapy Verbatim. Lafayette, California: Real People Press

Young, J. E., Klosko, J. S, & Weishaar, M. E. (2003). Schema therapy: a practitioner’s guide. New York: Guilford Press.

Kellogg, S. (2014). Transformational Chairwork: Using Psychotherapeutic Dialogues in Clinical Practice. Rowman & Littlefield.

Perls, F. (1992). Gestalt therapy verbatim. Gouldsboro, ME: The Gestalt Journal Press.

Zinker, J. (1977). Creative process in Gestalt therapy. Brunner/Mazel.

Goldman, R. N., Greenberg, L. S., & Pos, A. E. (2005). Depth of emotional experience and outcome. Psychotherapy Research, 15(3), 248-260.

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